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Dissertation sur le démon asmodee

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Asmodée

« Discours et Dissertations sur tous les livres de l’ancien Testament », par le R.P.D. Augustin Calmet, Religieux Benedictin de la Congrégation de S. Vanne et de S. Hydulphe. Tome second, à Paris, chez Pierre Emery, 1715

Il est assez étonnant que l’écriture, qui nous parle si souvent des bons et des mauvais anges, et qui rapporte leurs apparitions et leurs actions surnaturelles et miraculeuses, nous ait révélé si peu de choses sur la nature, le pouvoir, les fonctions, les qualités, la gloire, la subordination, la manière d’opérer et de communiquer de ces esprits, que nous regardons comme les prémices des ouvrages du Créateur et les plus excellentes productions de la puissance. Tous ce que nous lisons dans les livres Saints, ce réduits souvent à ces chefs ; qu’il y a des bons et des mauvais esprits ; que les premiers sont dans la gloire parce qu’ils ont conservés la gloire et qu’ils ont persévérés dans leur soumission au Créateur, et que les autres s’étant élevés d’orgueil, sont déchus de leur premier état, ils sont réduits à souffrir dans l’enfer des supplices éternels et à exercer leur rage et leur haine contre nous, pour nous attirer dans la même condamnation et dans le même malheur où ils sont réduits eux-mêmes. Que les bons anges sont les ministres ordinaires des bienfaits, des grâces du Seigneur, et que les démons sont les exécuteurs de sa justice et de sa vengeance. Qu’entre les démons, de même qu’entre les anges il y a une subordination dont les lois nous sont inconnues, qu’ils agissent sur les corps et sur les esprits, d’une manière qui nous est encore plus incompréhensible. Que chaque Royaume a son Ange, qui y préside et que chacun de nous a aussi son Ange gardien, qui veille à notre conservation, et nous aide dans l’affaire de notre salut, pourvu que nous ne mettions point d’obstacles à ses bonnes volontés, et aux grâces que Dieu nous donne.

Mais dans cela même que Dieu a daigné nous découvrir, combien d’obscurité et d’embarras.

Les Anges et les Démons nous sont presque toujours représentés comme corporels.

La plupart des histoires qu’on nous en raconte, ont plutôt l’air de paraboles que de vraies histoires. Qu’on examine par exemple le récit de la tentation de la première femme et de l’ange, qui voulait mettre à mort l’ânesse de Balaam ; l’histoire du Démon Asmodée que nous allons voir ; L’apparition du Démon qui tenta Jésus-Christ dans le désert ; le récit de la tentation de Job.

Tout cela ne parait-il pas plus propre à augmenter nos doutes et nos difficultés, qu’à les dissiper et à éclairer notre ignorance, Dieu semble avoir voulu par-là mettre des bornes à notre curiosité, détourner nos attentions de ces objets dont la connaissance ne nous est pas si nécessaire afin de conserver toute la capacité de nos esprits pour l’occuper à des matières plus importantes.

Les anciens Juifs avant la captivité de Babylone ne paraissent pas avoir beaucoup porté leurs études du côté des Anges. Nous ne remarquons pas qu’ils aient exercé aucun culte, ni vrai, ni faux, ni légitime, ni superstitieux envers eux. Ils ne s’étaient pas même avisés de leur donner des noms. Ce n’est pas leur propre aveu, que dans le pays des Caldéens qu’ils apprirent les noms de Michel, de Gabriel et de Raphaël, et qu’ils surent qu’il y avait sept Anges principaux devant le trône du Seigneur.

Les Démons ne leur étaient pas mieux connus que les Anges, le nom de Satan, qui se trouve dans quelques endroits, est général, et signifie « un adversaire », « Béel-Sebub » est un nom d’Idole, Isaïe a parlé de Lucifer, mais ce nom ne signifie que l’étoile du matin, et si on le donne au Démon, ce n’est qu’au sens figuré, Asmodée est le premier nom propre du Diable que nous rencontrions dans l’Ecriture, et encore y a-t-il sujet à douter si c’est un nom propre, puisque l’on peut entendre Tobie de cette sorte : « le Démon exterminateur étouffait les maris de Sara ». Mais il faut reconnaître de bonne foi, que le sens naturel du texte nous conduit à prendre Asmodée pour le nom propre de ce Démon. Le Grec lit : Asmodée le mauvais Démon, Saint Prosper : « Asmodée le plus mauvais des Démons ».

Entre les diverses étymologies du nom d’Asmodée, on peut se déterminer hardiment à celle qui se dérive du verbe « Schamad », ce qui signifie détruire, exterminer, perdre, désoler ; titres qui conviennent que trop véritablement au Démon, dont la principale application est de prendre les armes, de ruiner les œuvres de vertu et de piété, de renverser les bonnes résolutions, s’opposer aux desseins de la miséricorde et de la grâce du Sauveur : en un mot, qui ne met sa gloire et son pouvoir qu’à faire des criminels et des scélérats, des malheureux, et à reprendre la discorde, la confusion et le désordre dans le monde. Saint Jean dans l’Apocalypse a parlé du Démon nommé en Hébreu « Abadon », en grec « Appoluon », et en latin « Exterminateur ». On croit que c’est cet Ange exterminateur qui exerça la vengeance du Seigneur sur l’Egypte, par les dix plaies, sur les Israélites rebelles et murmurateurs qui moururent dans le désert et sur l’armée de Sennacherib mise à mort en Palestine, c’est lui qui a animé les persécuteurs et qui a suscité les persécutions contre l’Eglise de Jésus-Christ, c’est lui enfin qui a continué à lui faire la guerre par les Hérétiques et les Impies, qui en corrompent la foi et qui en déshonorent la pureté par leur mauvaise vie ou par leur pernicieuse doctrine.

Mais comme ce nom d’Exterminateur convient à tous les Démons, on demande en particulier qui est ce Démon qui obséda Sara, et qui étrangla les sept maris qu’on lui donna avant Tobie, car on fait qu’il y a des Diables de plus d’une sorte, les uns sont Princes et maîtres Démons, les autres sont subalternes et assujettis.

Les uns président à l’avarice, d’autres à l’ivrognerie, d’autres à l’impureté, ou à la gourmandise. Ceux-ci se mêlent de prédire l’avenir et de produire de prétendus oracles. Ceux-là sont employés à tenter les hommes ou à tourmenter ceux qu’ils obsèdent ou qu’ils possèdent. Il y en a qui causent certaines maladies, et il parait par l’Evangile que les Juifs attribuent au Démon la plupart des incommodités dont ils étaient affligés. Enfin on croit qu’il y a des Démons qui ont leur département dans l’air, d’autres dans les déserts, d’autres dans les Provinces ou les Royaumes. Quels étaient donc l’emploi et le rang d’Asmodée dont nous parlons ici ?

L’Hébreu que nous avons déjà cité, lui donne le titre de Roi des Démons, mais on nous parle de plus d’un Roi des Diables. Les Juifs accusaient Jésus-Christ de chasser les Démons au nom de Béel-Sebub le Prince de l’Enfer. Saint-Jean dans l’Apocalypse lui donne plusieurs épithètes, comme de Grand Dragon, d’Ancien Serpent qui est surnommé le Diable et Sathan et qui séduit toute la terre, Job et l’Evangile l’appellent aussi Sathan, nom qui exprime parfaitement sa malice, sa haine contre les hommes, et son aversion pour la vérité, car ce terme signifie un ennemi, un adversaire, un calomniateur. Le mot Diabolos en grec a la même signification, c’est un faux accusateur, un ennemi injuste et calomniateur. Saint-Pierre nous le dépeint comme un lion rougissant qui court de tout côté et qui cherche à dévorer sa proie. Enfin, on donne souvent au Prince des Démons, le nom de Lucifer. Il y en a qui croient qu’Asmodée était le chef des Démons de la Médie, dont il est parlé dans Daniel, il exerçait sur la Perse et s’opposa à l’Ange Michel, protecteur du peuple de Dieu. Le nom d’Asmodée se peut dériver de l’Hébreu « le feu de la Médie », parce que ce Démon y fomenta le feu de l’amour impur.

Les Rabbins veulent qu’Asmodée fut né de Noëma, sœur de Tubalcaïm et femme de Simron et que ce fut le même qui est nommé Sammaël dans le Targum, sur le chap. 28 de Job. Enfin les Talmudistes enseignent maintenant qu’Asmodée et le Prince des Démons.

Mais l’opinion qui nous parait la plus vraisemblable, est qu’Asmodée était un Démon d’impureté, rien ne nous oblige de suivre les Hébreux qui lui donnent la qualité de Roi des Démons. Ce que l’Ecriture nous dit de lui, n’exige point que nous lui donnions ce rang parmi les compagnons de sa révolte. Il avait reçu de Dieu le pouvoir de donner la mort à ceux qui s’approchaient de Sara dans des Sentiments brutaux et criminels. Il n’avait aucun pouvoir sur cette vertueuse fille ; il contribuait malgré lui et sans le savoir au bonheur de Sara et de Tobie.

Ces deux jeunes gens étaient faits l’un pour l’autre, et le Seigneur qui avait sur eux des vues de miséricorde ne permit pas que les sept maris s’approchassent de Sara, parce qu’il la réservait à un autre, plus digne.

Raphaël découvrit au jeune Tobie la véritable cause de leur mort, lorsqu’il lui dit « je vais vous découvrir qui sont ceux sur qui le Démon a du pouvoir, ce sont ceux qui se marient sans songer à Dieu ; ceux qui l’excluent de leur cœur, de leur esprit, pour s’abandonner à leur passion t à leur brutalité, comme le cheval et le mulet, qui sont dépourvus d’intelligence. Voilà ceux sur qui le Démon a du pouvoir ». Sara avait aussi pénétré une des raisons pourquoi ces hommes n’avaient pu l’avoir pour femme : « C’est peut-être, disait-elle parce que je n’ai point été digne d’eux, ou qu’il n’ont point été dignes de moi ». C’était sans doute pour cette dernière raison ; mais cela n’aurait pas suffit à exposer ces hommes à la mort, si par leur mauvaises dispositions et par leur intempérance, ils ne s’étaient attirés ce malheur.

Ce qui fait le plus de difficulté dans la délivrance de Sara, est que le Démon Asmodée ait été chassé par la fumée du foie et du cœur d’un poisson, comment un esprit peut-il ressentir les impressions de la fumée ? Comment est-il sensible à la bonne ou mauvaise odeur ? On sait que ni la fumée, ni l’odeur ne peuvent procéder que d’un corps et ne peuvent agir que sur la matière ; quoique les sentiments d’horreur ou de plaisir que nous sentons à l’occasion des impressions que les qualités sensibles font sur nos corps, ne soient point incompatibles avec les esprits les plus dégagés de la matière, nous ne concevons pas pourtant que ces sentiments puissent arriver jusqu’à eux, sans une espèce de miracle et sans que Dieu par sa puissance, veuille qu’à l’occasion de certains mouvements qui se font hors d’eux, ils ressentent les mêmes impressions que s’ils étaient joints à des corps ou corporels. C’est par là qu’on explique comment les Démons et les âmes des damnés souffrent dans l’Enfer la peine du feu matériel. Cet élément n’agit pas sur eux directement et immédiatement, mais par un effet de la volonté toute puissante du Seigneur, sa présence causa dans leurs âmes les mêmes sentiments de douleur que s’ils étaient véritablement revêtus de corps et liés à une portion de matière.

Les païens qui voulaient que les Démons eussent des corps fort dégagés et forts subtils, n’étaient point embarrassés à expliquer comment ils étaient frappés des bonnes ou des mauvaises odeurs. Leurs corps très subtils et de la nature de l’air le plus fin, s’engraissaient, disaient-ils et des liqueurs qu’on répandaient et de l’odeur des chairs qu’on brûlaient en leur honneur, ils se nourrissaient de la fumée des parfums et des encens, ils se fortifiaient en suçant le sang des hosties. Mais, ajoute Porphyre, l’homme sage se gardera bien de faire de pareils sacrifices, de peur d’attirer ces maîtres de toute sorte de malice. Il ne se mettra en peine que de purifier son âme ; parce que les Esprits malins n’ont aucun pouvoir sur une âme pure et dégagée de la corruption. Les Caldéens, chez qui le Livre de Tobie a été composé et les Israélites pour qui il a été écrit, étaient sans doute dans le sentiment que les Démons n’étaient pas absolument dégagés de la matière. Ils leur attribuaient tous les sentiments et les impressions qui ne conviennent qu’aux êtres corporels ; d’où vient que Tobie parlant selon l’idée et le préjugé du peuple, disait à Raphaël que le Démon Asmodée avait de l’amour pour Sara, voulant marquer que ce mauvais Ange était jaloux de sa beauté et ne pouvait souffrir que personne s’en approcha. C’est dans cette occasion qu’on peut fort bien appliquer le principe de S. Jérôme, dans les Saintes Ecritures, on rapporte souvent les choses suivant l’opinion du temps auquel elles sont arrivées et non pas selon l’exacte vérité.

Les Anciens Pères de l’Eglise n’ont pas été entièrement exempts de cette erreur, qui donne aux Démons des corps subtils et une sensibilité pour les odeurs et pour les autres tentations fines et délicates. Origène reconnaît comme une chose incontestable que les Démons aiment les liqueurs et le goût des viandes rôties. Il croit qu’il apparaissent et prennent la forme de Saints Personnages, où de bons Anges pour séduire les simples, qu’ils sont sensibles à l’amour impur et aux sons des instruments, qu’il y a charmes, certains vers, certaines herbes et certaines figures, qui ont la vertu de les chasser et de guérir les maladies qu’ils ont causés.

Ces opinions sont très anciennes, très autorisées et par le grand nombre et par la grande réputation de ceux qui les ont soutenues, et quoique l’Eglise semble les avoir entièrement abandonnées, il s’est trouvé encore dans ces derniers temps, des personnes habiles, qui n’ont pu se résoudre à ne donner aucun corps aux bons et mauvais Anges Grotius, on ne peut s’empêcher de témoigner quelque chagrin contre ceux qui ont déféré trop aisément à Aristote, qui est, dit-il le premier Auteur des natures purement intelligentes.

Dès qu’on admet ces principes, on ne doit plus trouver de difficultés à expliquer comment les Anges et les Démons apparaissent sous une forme corporelle, boivent, mangent, causent et guérissent les maladies.

Rien n’est plus aisé, ni plus naturel que l’impression des corps sur la matière et sur les feus.

Je ne vois guère comment ceux qui prétendent que la fumée du cœur et du foie d’un poisson a pu chasser le Démon d’une manière naturelle et par un effet qui lui fut propre, peuvent soutenir ce sentiment, sans admettre dans cet esprit impur un corps et des sens.

Quelque effort que fasse leur philosophie, elle ne persuadera jamais que l’antipathie qu’on suppose entre Asmodée et cette fumée, se puisse rencontrer dans un Esprit absolument dégagé de la matière. Ces aversions et ces antipathies n’étant fondées que sur la diversité et l’opposition des qualités, ne peuvent se rencontrer entre les êtres qui n’ont nul rapport entre eux, comme l’esprit, le corps, autrement il faudrait que tous les corps et tous les esprits généralement fussent dans une antipathie irréconciliable, puisqu’ils sont tous également éloignés les uns des autres en qualité d’esprit et de corps.

Si l’on fait consister l’efficacité de la fumée dont il s’agit dans le sentiment qu’elle cause dans la personne qui en est frappée, ce qui produisant dans ses humeurs et dans son sang quelques agitations et quelques altérations, peut agir indirectement sur le Démon, en lui ôtant les moyens dont il se servait pour tourmenter et pour incommoder celui qu’il obsédait ou qu’il possédait, ce sentiment n’a rien qui ne puisse être admis par les Théologiens les plus scrupuleux, par les philosophes les plus délicats, et les plus exacts. Si la mélancolie était la cause de la maladie de Saül, il n’est nullement étrange que le son des instruments de David dissipant cette humeur noire et réveillant les esprits de Saül, ait en même temps ôté au Démon le principal ressort de sa malice et qu’en ce sens, la musique l’ait chassé, ou du moins qu’il ait arrêté et suspendu son opération. On en peut dire autant de ces racines, dont parle Joseph, bien appliquait sous le nez des possédés et dont il prétend que la vertu avait été révélée à ceux de sa Nation par Salomon. On nous parle aussi de diverses racines, herbes, plantes, pierres, et autres choses qui ont, à ce qu’on prétend, le pouvoir de chasser les Démons, ou de les empêcher d’entrer en un lieu et d’y exercer leur malice, mais on peut leur appliquer ces paroles de S. Augustin, en parlant de la fumée et des odeurs, dont on croyait que le Démon se repût : « Ils ne se nourrissent point de ces choses, mais des erreurs des hommes ». Ce ne sont ni les fumées, ni les herbes, ni les pierres qui les chassent, qui les tiennent en respect, mais la vaine erreur de ceux qui sont dans ces sentiments. Le Démon les y entretient et les y laisse, étant d’ailleurs assez dédommagé de la suspension de sa malice par le gain qu’il fait en fomentant la superstition et l’erreur.

Mais à l’égard des effets magiques de certaines paroles, de certaines plantes, ou de certains caractères, on en doit juger autrement. Le Démon, dans ces rencontres veut bien s’imposer des lois et s’engager à n’agir que suivant la volonté de ceux qui lui sont dévoués. C’est en quoi consiste son empire malfaisant et cruel. Il ne cesse de nuire, que pour faire de grands maux. Il croit assez gagner en s’attachant les hommes, en les séduisant par les erreurs de la magie. Mais tout ce qu’on pourrait dire sur cela, ne servirait à rien pour expliquer le fait que nous examinons, puisqu’il est certain qu’il n’y eut aucun acte magique dans tout ce qui se passa, à l’expulsion du Démon qui obséda Sara.

Serarius croit qu’on peut prendre un milieu, entre l’opinion qui croit qu’Asmodée fut chassé par une vertu toute naturelle et celle qui y reconnaît une force divine et miraculeuse. Il remarque qu’une action peut être produite simplement ou par l’action d’un bon ou d’un mauvais Ange, ou par le seul commandement et la volonté de Dieu, sans que ni Dieu, ni les Anges emploient au dehors aucun agent qui concoure avec eux ; ou bien, Dieu emploie un Ange ou un Démon, aidé de quelque secours naturel et sensible, qui lui serve comme d’instrument ou d’aide dans son opération, soit que l’agent principal ait besoin de ce secours, soit qu’il n’en ait pas de besoin, soit que la chose dont il se sert ait naturellement quelque disposition et quelque faculté propre à l’emploi qu’on en fait, soit qu’elle n’y en ait naturellement aucune, mais qu’elle reçoive toute sa vertu de celui qui s’en sert..

Dans ce cas présent, il veut que la fumée du foie et du poisson aient eu une vertu en quelque sorte naturelle, de chasser le Démon ; ce qu’il prouve par les discours de l’Ange, qui parlant d’une manière humaine, a dit que le foie de ce poisson a le pouvoir de chasser toute sorte de Démon, soit d’un homme, soit d’une femme. Le jeune Tobie, qui jusque là ne regardait Raphaël que comme un simple homme, le prit en se sens ; et lorsqu’il lui demanda à quoi servirait ce foie de poisson, il ne pensait sans doute à aucun effet surnaturel. On doit croire que Raphaël lui parla suivant sa pensée. Cet auteur croit qu’au commencement du monde, Dieu prévoyant les maux que le Démon ferait au genre humain, donna à certaines plantes la vertu d’en empêcher les mauvais effets. Il reconnaît toutefois quelque chose de surnaturel dans la fumée dont il s’agit, fondé principalement sur ce que l’ange dit, que jamais le Démon ne revient contre ceux qui ont une fois éprouvé les effets de ce remède naturel. Enfin il veut que la continence et les prières du jeune Tobie, que ses bonnes dispositions et celle de Sara, qui n’entraient dans le mariage que par des vues de piété, qu’enfin la présence de Raphaël aient beaucoup contribué à cet effet si singulier et si extraordinaire.

Grotius semble réduire tout ce récit à une parabole, à une figure de rhétorique. Il ne reconnaît proprement au Démon, ni opération surnaturelle dans la guérison de Sara. Le prétendu Asmodée qui mit à mort les sept maris n’était autre qu’une incommodité ou une mauvaise qualité du corps de cette jeune femme, qui étouffait ceux qui s’approchaient d’elle. Les Hébreux avaient coutume d’attribuer au Diable toutes les maladies, et les incommodités, dont on ne voyait pas distinctement la cause, ils croient qu’il y avait des Démons de surdité, de silence, qui rendaient les hommes sourds, muets, et épileptiques, et autres maux inconnus dont la médecine n’osait entreprendre la guérison, étaient selon eux causés par des malins Esprits.

Ceux qui veulent que l’expulsion d’Asmodée se soit faite par une vertu surnaturelle, ne sont point d’accord entre eux. Les uns soutiennent que la fumée du poisson n’était qu’un simple symbole des prières de Tobie et de Sara, auxquelles seules on doit tout le succès de cette guérison, à peu près de même que la boue dont Jésus-Christ se servit pour frotter les yeux de l’Aveugle-né, qu’il envoya ensuite se laver dans la piscine de Siloë, n’était pas la cause, mais la preuve de sa parfaite guérison. Asmodée était de ses démons, qui ne se chassent que par la continence et la prière, comme ceux de l’évangile, qui n’étaient chassé que par le jeûne et l’oraison. Les autres croient que la fumée était seulement le signe qui marquait le moment auquel le Démon fut chassé, d’autres soutiennent que Raphaël seul chassa Asmodée ; mais qu’il voulut cacher son opération toute surnaturelle, sous cette marque sensible, de peur que Tobie ne s’aperçut qu’il était un Ange, ce qui aurait été contre l’intention de Dieu, qui voulait que Raphaël demeura inconnu, jusqu’au retour du jeune Tobie dans la maison de son père. S. Prosper attribue tout l’effet de cette fumée à Jésus-Christ qui est le poisson mystique et sacré et qui chasse les Démons, et qui nous guérit de toutes nos infirmités. Mais comme ce Père déclara qu’il parle selon le sens mystique, nous ne mettons pas son opinion au rang des explications littérales.

Les principales preuves de ceux qui ne veulent reconnaître ici qu’une vertu surnaturelle et miraculeuse, sont : I. La disproportion essentielle qui se rencontre entre une chose sensible, grossière et corporelle, un être purement intelligent.

2. La disproportion entre le remède de la maladie. Les maux corporels se guérissent d’ordinaire ou en appliquant sur le corps des médicaments contraires au mal, ou en évacuant les humeurs qui causent la maladie, ou en réhabilitant le sang et les humeurs dans leur situation naturelle, ce qui se fait de plus d’une manière, ou en agissant directement sur ces humeurs, et en ôtant les causes de leur dérèglement, ou en rendant à l’esprit sa tranquillité et sa joie ; de manière que le contentement de celui-ci influe par une suite nécessaire sur le sang et sur les humeurs, et les remette dans leur juste équilibre. Enfin, on peut être malade d’ex inanition, d’épuisement et de faiblesse, on soulage ces maux en ranimant les esprits et en réparant par une bonne et saine nourriture le sang et les humeurs épuisées.

Mais dans le cas que nous examinons, aucun des moyens ne peut avoir lieu, la femme du jeune Tobie n’avait aucune incommodité corporelle, que l’on sache, il ne s’agissait que de chasser le Démon qui l’assiégeait, sans lui faire du mal, mais qui ne souffrait pas qu’on s’approcha d’elle, dans des dispositions d’un amour déréglé, la fumée du foie d’un poisson ne pouvait agir sur le corps de ce Démon ; puisqu’il est purement spirituel, ni sur son esprit, puisque la fumée est toute matérielle. Ce remède est inutile pour de semblables maux dans toute autre personne que Sara. Toutes les fumigations, les parfums et les odeurs bonnes ou mauvaises n’ont jamais pu naturellement chasser les Démons ni d’un lieu, ni d’un corps. Si quelquefois dans les exorcismes on a conseillé de brûler du souffre et d’autres choses d’une odeur forte, c’est toujours avec des circonstances qui font voir que ce n’est point à l’odeur qu’on attribue l’effet qu’on en attend, mais aux prières dont on l’accompagne. Enfin, si la fumée de ce poisson était un remède naturel pour chasser le Démon, pourquoi les prières et la continence de Tobie et de Sara ? Pourquoi Raphaël dit-il à Tobie que ce Démon n’a de pouvoir que contre ceux qui s’abandonnent à leur passion et à leur brutalité ? Un remède naturel aurait-il dépendu de ces dispositions toutes spirituelles ?

La seule chose qui nous reste maintenant à examiner, est la manière, la cause et le lieu de relégation d’Asmodée. L’Ecriture, sans s’expliquer d’avantage, dit que « Raphaël saisit le Démon et l’enchaîna dans le désert de la Haute Egypte », l’Hébreu dit qu’Asmodée ayant senti l’odeur du foie brûlé, s’enfuit dans la Haute Egypte. Le Grec ajoute que Raphaël l’y enchaîna. Mais ni l’un, ni l’autre ne disent que l’Ange l’ait saisi, comme le dit la Vulgate. Elle insinue que cela se fit dans la maison de Raguel et que de là il le conduisit comme en prison dans les déserts de la Thébaïde. Mais de quelques manière que la chose se soit passée, il est certain que le récit que nous lisons en cet endroit ne pas s’entendre dans la rigueur de la lettre.

Car comment lier un Démon ? Comment l’attacher à un lieu ? Comment le saisir et le mener comme un prisonnier dans son cachot ? Il faut donc ici prendre le verbe lier comme dans d’autres passages de l’Ecriture, où l’on parle du Démon à peu près dans les mêmes termes. Par exemple Jésus-Christ dit que personne ne peut enlever les armes du fort armé, ni forcer sa maison sans avoir l’avoir auparavant lié. Et dans l’Apocalypse « Le Dragon ancien qui est le Diable, Sathan est pris par un Ange et lié pour l’espace de 1000 ans ».

S. Pierre parlant de la chute des Anges rebelles, dit que Dieu les a arrachés du Ciel et les a liés dans les lieux de l’Enfer, pour y être tourmentés en attendant le Jugement Dernier. Et S. Jude, dans son Epître dit que les Anges qui n’ont pas conservé leur état premier, sont réservés au Jugement du grand jour et liés par des liens éternels dans l’obscurité de l’Enfer. Toutes ses expressions n’ont jamais été entendues d’un enchaînement réel, ni des liens matériels qui resserrent les Démons ; mais d’une force supérieure qui les retient dans les tourments et arrête les violents effets de leur fureur.

S. Augustin expliquant la manière dont les Démons peuvent être liés ou déliés dit que ces termes ne signifient autre chose, quant on parle de ces ennemis du genre humain qu’avoir la liberté de nuire aux hommes, ou n’avoir pas cette liberté.

Le Démon est lié dans l’Enfer à présent, parce qu’il ne trompe plus les hommes comme autrefois, par l’idolâtrie, depuis que Jésus-Christ a été prêché par le monde. Le Sauveur l’a lié et a pris sa dépouille. Raphaël fut à l’égard d’Asmodée comme un vainqueur qui dispose souverainement de son captif, qui le met dans les liens et le relègue dans un pays inconnu. Cet Archange lui ordonna de la part du Seigneur de se retirer. Il lui signifia la révocation de la liberté, qui lui avait été donnée jusqu’alors, d’exercer sa cruauté contre ceux qui s’approchaient de Sara. Voilà proprement e que signifie lier le Démon. Comme il ne peut agir sans la volonté et la permission du Seigneur, il est lié et arrêté aussitôt que cette permission cesse et est révoquée. On le compare fort bien à un mâtin lié d’une chaîne ; il peut bien gronder et menacer, mais il ne peut mordre que ceux qui s’approchent témérairement.

Mais comment le Démon peut-il être borné et attaché à un seul lieu ?

N’est-il pas également contradictoire de dire qu’un esprit est renfermé dans un lieu et qu’il y fût lié ?

Ni l’une, ni l’autre de ces deux choses ne conviennent à une substance spirituelle. Mais il est aisé de satisfaire à cette difficulté, dans les principes qu’on vient d’établir, si le Démon est lié, lorsque Dieu révoque et suspend le pouvoir qu’il lui a donné, il est clair que ce même esprit est renfermé, lorsque Dieu prescrit certaines bornes à l’exercice de son pouvoir, soit par rapport aux temps, soit par rapport aux lieux, aux choses ou aux personnes, ainsi Asmodée étant attaché à la personne de Sara et n’ayant de pouvoir contre ceux qui s’approchaient d’elle dans de mauvaises dispositions, était réduit dans les lieux où vivait Sara, il ne pouvait exercer sa malice ailleurs, il fut tiré de là pour être relégué dans le désert de la Haute Egypte, non pas pour y être resserré, ni enfermé comme dans un lieu, dans un certain espace limité, mais pour exercer son pouvoir dans l’étendue du terrain qui lui serait prescrit, ou plutôt pour y demeurer sans action, parce que le pays était désert et inculte. Ainsi enfermé dans un lieu, à l’égard du Démon, n’est autre chose que pouvoir exercer sa malice et sa mauvaise volonté dans l’étendue de cette place. Un Démon à qui Dieu permet de tenter une personne, est resserré dans les lieux où se trouve cette personne.

Il n’y a que Dieu qui puisse commander en maître aux Démons et qui ait droit de fixer les espaces et les temps où ils peuvent faire paraître leur puissance. Dieu seul peut mettre des bornes à leur malice et en arrêter le court et les effets, lorsqu’il le juge à propos. Il est pourtant vrai que les Anges et les hommes ont quelques fois usé du même pouvoir en liant les Démons en certains endroits et en arrêtant le progrès de leur violence. Mais ni les hommes, ni les Anges n’ont jamais pu exercer sur eux cet empire, par leur propre vertu. Ils n’ont agi que par l’ordre de Dieu, et en son nom. C’est ainsi que Raphaël réduit Asmodée et que Saint Michel arrête l’entreprise de Sathan, qui voulait enlever le corps de Moïse, il n’usa point d’autres armes que du nom de Dieu : Imperer tibi Dominus. Enfin, c’est ainsi que les Saints Martyrs que nos Saints Confesseurs et qu’encore aujourd’hui nos Exorcistes commandent au Démon et limitent l’étendue de leur pouvoir. Tout cela se fait au nom et par la vertu de Jésus-Christ.

Il n’en est pas ainsi des Magiciens, qui se vantent de faire agir les Démons et d’arrêter leurs actions, qui les tiennent à ce qu’ils prétendent, liés et enchaînés, les uns dans une bague ou dans une chambre, et les autres dans d’autres endroits. On ne peut pas dire que les Magiciens agissent au nom du Seigneur et qu’ils exercent son autorité sur les Démons et moins encore qu’ils agissent contre la permission de Dieu et malgré lui, car qui peut lui résister, il faut donc croire, ou que ce prétendu pouvoir des Magiciens sur les Démons, est purement imaginaire et chimérique ou que Dieu par un jugement secret, mais terrible, permet, pour un temps que ces malheureux, qui l’ont abandonné, deviennent les esclaves du Démon, qui les trompe misérablement par une vaine apparence de soumission, qu’il parait leur rendre, pendant que véritablement il les maîtrise et les traite plus indignement que les malheureux esclaves. Il n’est pas impossible aussi que le Prince des Démons exerce sur les sujets une espèce d’empire, qui consiste principalement à leur commander d’exécuter les volontés de ces malheureux Magiciens, qui se sont abandonnés à lui. Mais de quelque manière que l’on l’entende, la Religion et le bon sens ne permettent point qu’on attribue, ni aux Prince des Démons, ni aux Démons subalternes et beaucoup moins aux Magiciens, une autorité absolue et indépendante.

Tous les mouvements, tout le pouvoir, toute la force du Démon est dans la dépendance du souverain Maître des esprits, qui les conserve et qui les gouverne par son infinie puissance, et par sa sagesse incompréhensible.

Le lieu où le Démon fut lié et relégué est le désert de la haute Egypte, pays fertile, sec, sablonneux, inculte et presque entièrement abandonné.

Comme il ne pleut jamais en ce pays là et que le Nil ne peut s’y répandre dans ses débordements, à cause des montagnes et de l’élévation du terrain, il est nécessairement sec et fertile. Saint Jérôme veut même qu’il soit rempli de serpents et de bêtes venimeuses. Ces lieux affreux seraient demeurés continuellement dans l’oubli et dans l’horreur, s’ils n’avaient été sanctifiés par la demeure d’un très grand nombre de Saints Solitaires, qui ont rendu ces déserts vénérables et célèbres, et qui en ont changé la stérilité et l’horreur en un Paradis de délices et en une terre choisie où Jésus-Christ a fait éclater les plus grands et les plus sensibles effets de sa grâce toute puissante. Le Démon qui y avait établi son empire étant chassé de par tout ailleurs, par la vertu de la Croix, s’y est vu encore forcé et vaincus par la pénitence et l’austérité des anciens Solitaires. C’est le champ de bataille où les Antoines, les Pacomes, les Macaires, les Paphnuces et tant d’autres on si souvent combattu et terrassé le Démon ; qui de son côté n’a jamais fait paraître plus de fureur et d’opiniâtreté qu’à défendre ce fort, ou il s’était comme retranché et fortifié.

L’Ecriture n’exprime point pour combien de temps Asmodée demeura enchaîné dans la haute Egypte : mais on peut affirmer qu’il y demeura tout le temps de la vie de Tobie et de Sara, puisqu’il est dit que le Démon une fois chassé d’un homme, ou d’une femme, par le remède qui est marqué ici, n’y revient jamais. Mais on ne peut pas dire qu’après ce terme, Dieu lui ait permis de nouveau d’exercer sa malice contre d’autres personnes, c’est un secret que Dieu s’est réservé et dont il ne lui a pas plu de nous informer.

On nous raconte des choses si prodigieuses d’un Serpent qui se trouve dans une grotte de la haute Egypte, qu’il est mal aisé de se persuader qu’il n’y ait rien de surnaturel.

Ce serpent se voit dans une grotte de la montagne, vis-à-vis de la ville de Saata, environ cent lieues au dessus du Caire, sur le bord occidental du Nil. Il ne nuit à personne, on le touche, on le caresse, on le tue, on le coupe en morceaux, on l’emporte à plusieurs journées de là et après tout cela il se retrouve dans sa caverne tout en vie. Il paraît avoir du sentiment ; il va au-devant de certaines personnes, il les embrasse et les enveloppe de ses plis, il en suit et en évite d’autres : enfin si ce qu’on nous en dit est vrai, il faut reconnaître dans cet animal quelque chose de miraculeux. Quelques personnes ont crû que ce pouvait être le Démon Asmodée, enchaîné dans la haute Egypte. Il serait à souhaiter qu’on su depuis combien de temps il se fait remarquer en ces quartiers là ; car les Anciens ne nous en ont rien appris ; ou si tout ce qu’on en dit n’est pas un conte fait à plaisir, pour embellir un voyage et pour amuser les Lecteurs crédules.

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