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Mois : août 2016

Une sortie au Franc-Opéra

Le propre d’un récit authentique n’est pas qu’il est décevant ou réaliste, mais qu’il est soumis aux aléas de l’entendement de son témoin qui en rapporte les évènements tels qu’il les a perçus et non tels qu’ils furent. Je ne cèderai pas aux appels romanesques exigeant une déformation prompte à enrober ma nouvelle des séculaires oripeaux de ce qui modèle les écrits en des ensembles lisibles, je ne soumettrai pas non plus les faits aux carcans des plans convenus, mais me contenterai d’en dresser le rapport tel que je le vécus.

Ce fut par hasard que je me retrouvai avec cette invitation au Franc-Opéra, on me l’avait offerte sans plaisanter – et sans me connaître, puisque je suis sourd – pourtant je m’y rendis en taisant mon infirmité.
L’entrée était située dans un ancien presbytère ruineux par lequel on passait avant de descendre des escaliers humides aux marches inégales et usées rendues d’autant plus traitresses qu’aucune flambeau ni aucune bougie ne luisait sinon en son plus bas niveau. Ensuite un corridor devait être suivi avant de passer une porte basse taillée dans la roche qui donnait sur une vieille cave où moisissaient des vins, puis l’opéra, du moins ce que l’on nommait ainsi, se découvrait enfin.
Une pièce obligeant à rester voûté, suffocante, sinistre, plongée dans les ténèbres, baignée d’une antique et complexe puanteur dont l’âcreté révoltait l’âme en ses plus abyssaux tréfonds. Les sièges étaient placés dos à la scène, on y était installé par des silhouettes vêtues de sombres bures brunes suggérant que les placeurs étaient cénobites – ou du moins voulaient-ils qu’on le crut. Face aux spectateurs, une série de miroirs qui, par des jeux de réflexions permettaient à chacun de voir la scène, en réalité une miniature comme on en peut trouver dans les spectacles de marionnettes.
Dut commencer le spectacle car les effigies s’animaient, paraissaient douées de vie, capables de chanter leurs hymnes lyriques et conter leurs épopées romantiques. Il devait être question d’une quête légendaire, de chevalerie, de dieux, de goéties, de tragédies, mais ardue pour moi la tâche d’en dire davantage, ma surdité m’interdisant de percevoir autre chose que les basses vibrations que le corps ressent, de même qu’il m’était prohibé de pouvoir déceler ce que des lèvres pouvaient former comme syllabes sur ces bouches peintes parodiant la vocalisation.
J’arrivais à voir derrière moi les faces fascinées des autres spectateurs, certains mortellement abîmés dans leurs contemplations, littéralement morts, décédés, trépassés, déjà roides, moisis, en poussière, certains aux traits agités par les vers nécrophages.
Pourquoi applaudis-je à la fin du spectacle ? Pourquoi me prit-on par la main pour me ramener dehors sans se soucier des décès dont j’avais été témoin ?

Je vous ai mis en garde : ce récit ne répond pas à la prédestination que vous lui avez octroyée en en faisant une œuvre littéraire parmi d’autres. Même si je viens de formuler certains introspections et ai donc rompu mon pacte de ne pas faire le littéraire, je n’ai aucune réponse et n’en inventerai guère, et il n’y a aucune autre conclusion que celle de mon retour chez moi et de mes propres interrogations.
Il y a un opéra souterrain dans lequel les spectateurs meurent, voilà tout…

La civito de la Nebuloj

Parce que les petites gens font de petits textes qu’ils réunissent dans de petits recueils, les nains des Deux Zeppelins font de petits cadeaux.

https://les2zeppelins.wordpress.com/2016/08/24/news0105/

 

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Les nègres littéraires des Deux Zeppelins :

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Éloge des rencontres en randonnées

Si j’aime tant les randonnées ce n’est pas pour les vastes espaces, ni même pour les cieux dégagés, la quiétude ou la nature, et encore moins pour la solitude, car c’est justement ce qui est plaisant lorsqu’on se promène : rencontrer des gens, discuter avec eux de tout ce dont on discuterait ailleurs, sentir que partout le règne de l’Homme s’est accompli en accord avec le 1:28 de la Genèse.
Ce fut donc lors d’une randonnée en montagne que je croisai ce sympathique couple dont, étrangement, seule la partie masculine prenait la parole :
« Quels paysages, n’est-ce pas !
– Aidez-moi.
– Depuis combien de temps êtes-vous ici ? Vivez-vous ici à l’année ?
– Voilà plus de huit jours que je…
– Oh, dire que je ne suis arrivé que depuis deux jours et déjà les conditions me paraissent difficiles à supporter.
– Aidez-moi…
– Certes. Mais huit jours que vous êtes dans le massif, la vallée, ou précisément ici ?
– Ici. huit jours que je suis sous…
– Mais pourquoi à cet endroit précis, sous cette falaise, sous cet amas de rochers ?
– Enfin, vous ne comprenez pas que…
– Et pourquoi avoir mangé le visage de votre femme ? Et… bu son sang, vu votre haleine pestilentielle !
– Ne voyez-vous pas qu’elle est morte, écrasée sous ces rochers, et que mes jambes sont coincées, et que je n’ai rien d’autre à boire ni à manger ? Pitié, de l’eau, à manger, de l’aide.
– Ma gourde dans votre bouche de cannibale. Plaisantez-vous ? Vous êtes si déplaisant, malpoli et hautain, malgré votre position d’infériorité et votre éloquente stupidité qui vous a menée à vous allonger sous cette périlleuse falaise, que je vous dis au-revoir sans vous souhaiter la bonne journée ! »
Tout de même, tout le monde n’est pas agréable à rencontrer. De nos jours se perdent les bonnes manières.

pourriturepartout

La cité des brumes

La Civito de la Nebuloj est un ouvrage bilingue regroupant le poème fantastique en espéranto de Sylvain-René de la Verdière, paru dans les pages des Deux Zeppelins pendant la Saison 1, son adaptation en français par Céline Maltère et trente-quatre illustrations originales de Francis Thievicz. Le tout est joliment emballé dans une couverture mate avec application de verni UV et titre embossé, relié en feuillets cousus sur un papier luxueux.

Le tirage de tête est limité à 40 exemplaires numérotés et 4 exemplaires hors commerce.

https://civito.wordpress.com/

 

Maelstrom

 » Je crois que vous ne comprenez pas : aucun tourbillon recensé n’a jamais causé de désastres comme ceux que vous décrivez. Ce sont des mythes, au mieux prennent-ils corps dans l’esprit des auteurs de fictions.
– Ah, vous m’en apprenez une belle ! Eh bien, moi, je crois que c’est vous qui ne comprenez rien : j’ai en effet parlé d’un maelstrom, d’un tourbillon dévastateur, mais vous semblez ne penser qu’à ceux qui se situent en mer.
– Allez-vous me parler de tornades ? Vous seriez bien à…
– Mais taisez-vous ! Taisez-vous, silence et utilisez votre cervelle pour penser, pour remettre en cause, plutôt que justifier de toutes vos certitudes erronées de militant de la doxa. J’évoque un tourbillon de terre, ou plutôt de sables-mouvants et de boues.
– Là encore, je vous assure, les sables-mouvants ne sont que…
– Fort bien, en ce cas, puisque la raison et les arguments ne peuvent vous convaincre, allons nous fier à notre piètre sens de la vue. Passons cette crête…
– Par tous les dieux ! Mais comment…
– Comment pouvez-vous être aussi hermétique à tout ce qui sort de la prétention humaine matérialisée par la science officielle pourtant toujours revue, amandée, remaniée, broyée par ces petits pas de notre affligeante espèce que sont les avancées dans la compréhension du monde ?
– Non, je voulais dire comment est-il possible que nous n’ayons jamais eu connaissance de ce phénomène pourtant si géographiquement proche. Comment est-il possible que… »
J’en eu assez et aidai mon collègue à chavirer dans la pente qui le fit rouler jusqu’au maelstrom. Que l’on ne me croie pas sur parole, que l’on soit légèrement stupide, passe encore, mais que l’on soit à ce point dépourvu d’humour, voilà qui est intolérable. Ainsi, peut-être cet attardé mental servira-t-il à quelque chose ; s’il ressort quelque part encore vivant nous contera-t-il son voyage dans le maelstrom, sinon cela ne sera pas une bien grande perte pour une humanité qui a si grand besoin d’un peu d’eugénisme afin de perdre en sérieux et en rigidité.

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Huvanité – Le club de l’Homme

Au nombre des clubs salutaires pour la santé mentale je tiens à citer Huvanité – le Club de l’Homme. Fondé par l’aliéniste Karl Klaus Kstigel, il a pour dessein, depuis ses origines, d’éviter la maison de santé aux philosophes trop sensibles et aux mystiques livrés aux griffes de l’agnosticisme par la faute de religions trop tendres en réponses définitives.

Il a en effet été constaté que nombre de déments ne l’étaient ni pour des raisons d’hygiène ni pour des causes environnementales, mais surtout par incapacité à affronter l’absence de solutions aux questions métaphysiques, à pouvoir encore respirer dans ce vide tendu d’illusions, à avoir mal estimé la dose de vérité qu’ils pouvaient endurer. C’est dans les lacunes fondamentales de la vie, ces cavités livrées à l’absurdité de l’existence, que se propagent les parasites du désespoir dont nous connaissons tous les fruits noirs et amers.

Voilà pourquoi il a donc été conclu que rien ne serait plus salutaire, pour se détourner des questions éthérées, que de se livrer à l’énervement, à l’agacement le plus grossier, à la rage la plus prosaïque : et à cela quelle source plus évidente que l’humain ? Ses sociétés ineptes, ses manières condescendantes, sa vacuité, son avidité, sa prétention, ses sentiments et émotions, ses systèmes de valeur… Tout en lui est fait pour permettre de distraire son besoin de vengeance métaphysique. L’humain méditerranéen a même eu la bonne idée de se faire à l’image d’un dieu trop absent, l’idée a su se propager pour le plus grand bonheur de tous les philosophes perclus de scepticisme, de cynisme et d’idées trop extrêmes pour encore trouver la frénésie que permettent les luttes, la violence et les guerres. Mais le règne du dieu unique aux multiples noms n’a pas tout réglé.

Le club de l’Homme permet donc à ses membres de se trouver un emploi dans lequel ils bénéficieront de la joie de s’abrutir à des tâches stupides avec des collègues nécessairement perclus d’humanisme, de s’employer à avoir des loisirs grégaires où des macaques passeront leur temps à parler de leurs semblables, où le mot « discuter » ne signifiera plus argumenter/contre-argumenter mais seulement baver des syllabes, de participer activement au brassage de miasmes de la société, de se trouver des passions faussement dépourvues de desseins misanthropiques telles que l’astronomie ou la randonnée, afin de pouvoir pester contre les becs-de-gaz, le pastoralisme et le tourisme de masse (les idées de loisir ne manquent pas, l’humain parasite tout).

Au Club de l’Homme il y a des nerveux, des gens qui se mutilent, certains sont en prison à force d’actes de violences, d’autres sont morts en duel, nombreux sont devenus alcooliques, mais aucun n’a fini en maison de repos. Aucun n’est fou ! Quiconque s’occupe de l’humain s’évite de s’élever trop haut et perdre pied avec les plus gluantes crasses des réalités prosaïques. Soyez toujours agressé, vous finirez par vous conformer, même par votre incessante lutte vous serez ainsi au niveau de votre agresseur.

Que la vanité et le prosaïsme aient longue vie, que la folie sommeille éternellement.

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Confession d’une victime de l’ennui

Je ne vous ferai pas l’affront de décrire le fiacre de nuit dans lequel se déroulèrent les évènements, vous le connaissez. Quand j’y entrai j’avais certes bu de l’absinthe, lapé quelques gouttes de laudanum ; mais combien sommes-nous à ainsi modérément sustenter notre esprit sans conséquences néfastes ? De plus j’avais été tout à fait humble dans ma consommation et le froid nocturne m’avait parfaitement remis les idées comme il se doit.

Toujours est-il que la voiture était déjà occupée par une jeune femme bien sous tous rapports, gantée de dentelles, parfumée, des soieries jusqu’au menton, les cheveux coiffés et chapeautés… Un simple bonsoir fut échangé et la voiture était déjà en branle avant qu’un silence de convenance ne nous relègue chacun à nos solitudes.

Nous avons roulé cinq bonnes minutes avant que la demoiselle ne sorte un couteau à double lame en l’agitant tout en dévoilant de belles dents blanches dans un sourire tout ce qu’il peut y avoir de sain. Je crus qu’elle désirait simplement se couper un quartier de pomme ou quelque chose dans ce goût-là, mais elle me fixa en disant quelque chose comme :  » L’ennui, voilà le grand péril d’une existence sûre et orchestrée. L’ennui, inévitable conséquence de l’œuvre et du désœuvrement, allié des métaphysiques, complice du crime, lueur des lucides. Vous, monsieur, n’avez pas l’air de le connaître, ce Lucifer des larmes sèches, ce révélateur des néants ; voilà probablement – puisque vous semblez bienveillant – voilà probablement pourquoi vous ne me venez pas en aide cependant que je suis assaillie par les vers, déjà morte que je suis, par les araignées, par les mouches, par les larves et les cafards, rongée par des vitriols en capsules qui se crèvent dans mes cheveux et dissolvent mes chairs, la peau turgescente sous l’effet des frelons bourdonnant partout autour de moi, un scarabée d’argile poudreux sur le sein. »

Et, ainsi divaguant, elle se taillada les jambes, se scalpa presque le front, s’écorcha partout où elle pouvait.

Après un instant de stupéfaction, je tentai de l’empêcher, mais elle m’attaqua. Alors je pris peur, partagé entre mon besoin de fuir et mon envie de lui interdire de se blesser. J’ouvris la porte et hélai le cocher qui fit s’arrêter l’attelage et descendit pour nous rejoindre. Je n’eus pas l’occasion de lui expliquer qu’il me fouettait déjà le visage en me traitant de criminel (et d’autres qualificatifs non moins calomnieux et mensongers). Derrière lui, le sourire de la folle (un sourire d’une absolue sincérité, le sourire d’une parfait innocence) continuait de m’être adressé, comme pour me remercier, non pas de l’avoir sauvée du suicide qui aurait pu s’accomplir, mais de l’avoir distraite de son ennui.

Le lendemain je lus l’article dans le journal, on accusait un anonyme d’avoir mutilé une innocente jeune femme – devenue muette et folle suite au violent assaut – sauvée par le cocher qui, lui, avait péri, une lame enfoncée dans le cœur. Pourtant je suis innocent ! Innocent.

Vous trouverez mon corps pendu sous le platane à l’Est du pont. Montrez-le à cette demoiselle, elle sourira, non de voir son agresseur mort mais d’avoir trompé l’ennui. Ce sera la preuve !

bear girl

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