Le propre d’un récit authentique n’est pas qu’il est décevant ou réaliste, mais qu’il est soumis aux aléas de l’entendement de son témoin qui en rapporte les évènements tels qu’il les a perçus et non tels qu’ils furent. Je ne cèderai pas aux appels romanesques exigeant une déformation prompte à enrober ma nouvelle des séculaires oripeaux de ce qui modèle les écrits en des ensembles lisibles, je ne soumettrai pas non plus les faits aux carcans des plans convenus, mais me contenterai d’en dresser le rapport tel que je le vécus.
Ce fut par hasard que je me retrouvai avec cette invitation au Franc-Opéra, on me l’avait offerte sans plaisanter – et sans me connaître, puisque je suis sourd – pourtant je m’y rendis en taisant mon infirmité.
L’entrée était située dans un ancien presbytère ruineux par lequel on passait avant de descendre des escaliers humides aux marches inégales et usées rendues d’autant plus traitresses qu’aucune flambeau ni aucune bougie ne luisait sinon en son plus bas niveau. Ensuite un corridor devait être suivi avant de passer une porte basse taillée dans la roche qui donnait sur une vieille cave où moisissaient des vins, puis l’opéra, du moins ce que l’on nommait ainsi, se découvrait enfin.
Une pièce obligeant à rester voûté, suffocante, sinistre, plongée dans les ténèbres, baignée d’une antique et complexe puanteur dont l’âcreté révoltait l’âme en ses plus abyssaux tréfonds. Les sièges étaient placés dos à la scène, on y était installé par des silhouettes vêtues de sombres bures brunes suggérant que les placeurs étaient cénobites – ou du moins voulaient-ils qu’on le crut. Face aux spectateurs, une série de miroirs qui, par des jeux de réflexions permettaient à chacun de voir la scène, en réalité une miniature comme on en peut trouver dans les spectacles de marionnettes.
Dut commencer le spectacle car les effigies s’animaient, paraissaient douées de vie, capables de chanter leurs hymnes lyriques et conter leurs épopées romantiques. Il devait être question d’une quête légendaire, de chevalerie, de dieux, de goéties, de tragédies, mais ardue pour moi la tâche d’en dire davantage, ma surdité m’interdisant de percevoir autre chose que les basses vibrations que le corps ressent, de même qu’il m’était prohibé de pouvoir déceler ce que des lèvres pouvaient former comme syllabes sur ces bouches peintes parodiant la vocalisation.
J’arrivais à voir derrière moi les faces fascinées des autres spectateurs, certains mortellement abîmés dans leurs contemplations, littéralement morts, décédés, trépassés, déjà roides, moisis, en poussière, certains aux traits agités par les vers nécrophages.
Pourquoi applaudis-je à la fin du spectacle ? Pourquoi me prit-on par la main pour me ramener dehors sans se soucier des décès dont j’avais été témoin ?
Je vous ai mis en garde : ce récit ne répond pas à la prédestination que vous lui avez octroyée en en faisant une œuvre littéraire parmi d’autres. Même si je viens de formuler certains introspections et ai donc rompu mon pacte de ne pas faire le littéraire, je n’ai aucune réponse et n’en inventerai guère, et il n’y a aucune autre conclusion que celle de mon retour chez moi et de mes propres interrogations.
Il y a un opéra souterrain dans lequel les spectateurs meurent, voilà tout…