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Mois : octobre 2016

Deux Crânes et Machi

 

Naissance des Deux Crânes, anthologie

Aux éditions Les Deux Crânes

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Sous peu paraitra La Machi et autres miniatures

Aux Deux Zeppelins

Comment toujours, un recueil des Deux Zeppelins se mérite, il faut leur adresser une micro-nouvelle pour pouvoir l’acquérir.

 

 

Halitose

C’était un lecteur lent, très lent, mais un bon lecteur, de ces maniaques collectionneurs de paysages qui lisent une ligne avant de clore les paupières afin d’appréhender l’essence travestie en mots, qui parcourent un paragraphe avant de fermer les yeux et s’abîmer dans les visions décrites, pouvant dépenser un mois sur un seul chapitre qu’ils ne pourraient pourtant réciter par cœur mais dont leurs esprits connaissent tous les détails cachés derrière les encres et occultés par la cellulose, et même ceux passés sous silence.

Le dernier ouvrage qu’il lisait était relié d’une étrange façon, et sur son dos le titre et l’auteur étaient effacés par les ans. Des traces d’usure on ne pouvait ignorer qu’il avait été chéri et examiné par maints passionnés.

Parfois, mon ami, lorsque je le trouvais à la terrasse d’un café ou à l’ombre d’un platane du parc et qu’il avait oublié son opuscule, me décrivait sa lecture comme « un A-rebours décadent et purulent » , « un manifeste gnostique blasphémant la beauté et la laideur, transcendant le songe en une série de destructions absolues dont les gravats seraient autant de fertiles microcosmes éthérés» , « un Maldoror saturnien qui aurait visité le Walhalla avec un foulard de narcotiques devant le nez », « une nomenclature de cauchemars pareils à des fragments de ténèbres déchues agonisant dans un désert de poussières de cristal » , ainsi que par d’autres vagues allusions poétiques n’évoquant rien à l’amateur de journaux d’actualités que j’étais.

Au fur et à mesure de son avancée dans les pages il changea de physionomie et d’allure : il farina son visage, se passa du charbon pour se pocher les yeux, laissa ses épaules et son dos céder à l‘impitoyable pesanteur de l‘existence, négligea de tailler sa moustache de sorte qu‘elle fut suffisamment longue pour qu‘il la mâchonnât. Pour vernir ses ongles il devait laisser ses phalanges dans des bacs de thé ou de café car les bouts de ses doigts eux-mêmes étaient brunis. Mais ce fut son haleine qui m’interpela : une exquise fragrance s’exhalait de sa bouche, un parfum à la fois lacté et fleuri, angélique, violent, révoltant et parfait. Lorsque je l’interrogeais il se lançait dans de longues logorrhées, digressait, mais ne m’expliquait rien.

Pourtant, un jour, cependant que je lui rendis une visite impromptue, je découvris à quelles extrémités l’avaient livrées ses lectures : il s’adonnait au cannibalisme. « Mais seulement des enfants encore allaités, des humains-de-lait ; car eux seuls ont encore la viande pure ! »

Je fus comme vous : répugné. Néanmoins, quand, après avoir lu l’ouvrage en question et avoir rompu quelques ineptes carcans qui brident la liberté des consciences sous des jougs de niaiseries, je goûtai la chair de nouveau-né… Diable ! Parbleu ! Bon sang de bois ! Damnations hérétiques de nécromanciens albinos ! Mon haleine devint si douce que moi aussi je léchai ma moustache pour me la pommader à la salive… Et, enfin,  je dois avouer avoir compris que la gastronomie peut être un art.

Que l’on me parle de manger du vieillard ou de l’adulte et je serai comme vous dégoûté et pris de nausée, mais de l’enfant encore édenté, c’est comme pour tout : il faut en essayer avant de porter un jugement !

 voldenfant

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Struntus

Fugaces sont les ombres qui, sous les chênes argentés, glissent lorsqu’à l’horizon vespéral brûlent les vapeurs éthérées des chaudes et moribondes journées d’automne. Seulement des ombres, des reflets d’autres mondes filtrant par ces lieux enchantés, pour les âmes pures faire rêver et inspirer. Par-delà les fadaises du mauvais démiurge, ils hantent une contrée de songes, nés du chaos, n’existant que par l’enchantement, parfois les a-t-on dépeints en démons, en fééries, en chimères, en spectres ou en dragons, bien que leurs essences soient de cristaux oniriques. Leurs chants ont ce rythme complexe et naïf d’une pluie de saison morte s’épanchant sur un lac où agonisent des cygnes célestes, leurs musiques muent les tristesses en mélancolies et la rage en poésie.

En ce seul lieu peut-on les entrapercevoir, où sont venus gésir la quiétude et la solitude, où sont venus pourrir et fertiliser les poèmes sans encre et les cris sans larmes.

… Mais puisque les étrons bipèdes ont besoin de partager leurs autoportraits avec le reste du monde, on y a placé une antenne relais et aménagé de quoi parquer leurs bolides par lesquels ils déplacent leurs miasmatiques et sordides communautés. On peut s’y abreuver en parlant fort de choses creuses, on peut se réunir et festoyer en lorgnant les belles loches des serveuses. Loin de moi l’idée de blâmer ceux qui assument pleinement leur nature de fange prosaïque, très loin de moi l’idée de cracher sur mes semblables. Soyons étrons ! ou l’économie s’effondrera, divertissons-nous et cultivons le succès.

troupetron

Moi non plus je n’aime pas les futures générations humaines, moi non plus je ne souhaite pas leur laisser un monde où la rêverie, le bucolique, ou la quiétude auraient leur place. Faisons en sorte que tout acte ne soit permis que par la justification sociale, économique, prosaïque ; que tout racle le fond des abîmes et remue le limon, que toutes les crasses soient draguées et érigées en fierté. Que ceux à qui nous infligeons la vie subissent aussi notre avidité et notre médiocrité, bâtissons du hideux en le nommant beau sous prétexte que des dégénérés l’estiment digne d’y investir leur or – esthètes conformés nous sommes et demeurons – , piégeons le futur avec l’érudition (car l’érudition reste une forme de puissance de la communauté) afin que nul ne puisse se souvenir qu’en soi l’ingéniosité peut naître, que l’originalité soit folie, que l’autarcie soit maudite.
La concupiscence sera le genre humain – la chute dans les abîmes de tout ce qui nous entoure ne rend que plus aisé le détachement au monde, plus personne n’a d’excuse pour s’incliner, respecter ou croire en quoi que ce soit, tout est nivelé à hauteur du rampant.

http://www.victorianweb.org/art/illustration/dore/london/7.jpg

Terrassement

De crainte de passer pour un aigri, un écumeur d’amertume, un fossoyeur d’espoir, un résurrectionniste de spleen, un charrier d’ennui, un émétique dans un océan de purgatif, un désillusionné du progrès et de la modernité, un parasite des communautés ; je cherche des échos à mes complaintes, non pour me sentir moins seul ou en trouver d’autres à qui serrer la main en nous félicitant d’avoir des ennemis communs, mais pour pouvoir citer et laisser à d’autres la charge de prendre la parole.


POETRY FOR THE MILLION

The nineteenth century has produced a new school of music, bearing about the same relation to the genuine article, which the hash or stew of Monday does to the joint of Sunday.

We allude of course to the prevalent practice of diluting the works of earlier composers with washy modern variations, so as to suit the weakened and depraved taste of this generation : this invention is termed  » setting » by some, who, scorning the handsome offer of Alexander Smith, to  » set this age to music, » have determined to set music to this age.

Sadly we admit the stern necessity that exists for such a change : with stern prophetic eye we see looming in the shadowy Future the downfall of the sister Fine Arts. The National Gallery have already subjected some of their finest pictures to this painful operation : Poetry must follow.

That we may not be behind others in forwarding the progress of Civilisation, we boldly discard all personal and private feelings, and with quivering pen and tear-dimmed eye, we dedicate the following composition to the Spirit of the Age, and to that noble band of gallant adventurers, who aspire to lead the Van in the great March of Reform.

Lewis Carroll

La plèbe est la mesure de l’art démocratique sur laquelle marchent les brasseurs de vide nivelant le passé  aux bassesses du présent faute de pouvoir créer de l’honorable originalité contemporaine.

Pourquoi les analyses modernes des littératures de l’imaginaire sont des moisissures

Pourquoi les analyses modernes des littératures de l’imaginaire sont des moisissures ?

Tout d’abord la présence de pédants, de poseurs, d’universitaires studieux plutôt que passionnés, et surtout l’introduction de cette pseudo-science : la psychanalyse.

Ce ne sont pas les créateurs qui livrent les raisons d’être des littératures de l’imaginaire, mais les parasites, les fanges érudites autoproclamées spécialistes du genre, qui, pareils à des spores, se répandent de manière presque invisible avant de maculer les préfaces, postfaces, notes de bas de page et essais, de leurs associations d’idées étriquées auxquelles le niais donne foi.

Ils nous expliquent « comment » existe la littérature de l’imaginaire et pensent qu’ainsi ils répondent à « pourquoi ». Ils suivent, larves gluantes épinglées de diplômes faisant ployer genoux aux hordes abruties, ils se faufilent pour tenter de baver quelque chose où le commentaire devrait être retenu aux domaines du silence, ils suivent jusqu’à étouffer les textes originaux, jusqu’à « moderniser » les œuvres, et commentent jusqu’à faire en sorte que l’original n’ait plus besoin d’être lu par ces hordes microcéphales qui se contenteront de l’analyse du spécialiste plutôt que par les faits. Et les spécialistes suivant ne liront pas non plus le texte original : ils copieront ce que leurs prédécesseurs reconnus auront clamé, et ils l’actualiseront selon la culture dominante, selon les carcans attendus, selon les prismes contemporains. Et qu’importe si le texte s’en retrouve amputé, haché, réduit en chiffe informe, travesti et violé.

Mais toujours personne ne saura de quoi il parle.

Ce que sont les littératures de l’imaginaire ?

Non ! Les littératures de l’imaginaire ne sont pas des défouloirs à refoulés, frustrés, névrosés ou déments.

Non ! Les littératures de l’imaginaire ne sont pas des expériences de l’effroi en domaine familier et sûr.

Non ! Les littératures de l’imaginaire ne servent certainement pas à faire écho au monde prosaïque et à y dénoncer ou faire promotion de telle ou telle fadaise sociale, culturelle, religieuse ou politique.

Non ! La fantasy, le fantastique, la science-fiction, ne sont pas des œuvres romanesques normales dans des cadres différents – les bibliothèques et librairies ne sont pas des lieux de classement fiables de ce genre de choses : on y trouve d’ailleurs en majorité des choses qui ont été puisées dans les égouts.

Les littératures de l’imaginaire sont les espaces d’un Ailleurs, du Possible, de l’infini, et – on l’oublie d’autant plus facilement que le terme est inclus dans le titre – de l’Imaginaire ! Cet imaginaire qui n’est pas une résonance de sexualités ou de vices grotesques, cet imaginaire qui n’est pas parasité par les sens, les expériences ou tout ce que peut subir notre animalité, mais qui est une démiurgie idéale (ce que les lobotomisés ignorent, puisqu’on leur a ôté toute forme de pensée, puisqu’ils ne font que répéter les inepties psychanalytiques, puisqu’ils sont absolument incapables de rêver)  ; des échappatoires à la vie, à l’humanité, à l’animalité, à l’univers tout entier. Elles sont un monde parallèle, un monde dont nous sommes absents en tant que lecteurs, un monde qui perdure dans l’esprit du lecteur comme une ancre nous permettant de rester des esprits oniriques plutôt que des machineries sans rêves intriqués dans nos misérables existences.

Si on peut ôter la fantaisie d’un texte sans lui faire perdre son sens ou sa substance, ce n’est pas de la littérature de l’imaginaire. Quelle importance que le paysage soit irréel ou inspiré de lieux tangibles, quelle importance que tel ou tel personnage soit ou non existant ? Des cartons modelés pour dessiner des horizons elfiques ou des villes réelles n’y changent rien, si c’est habité d’existence banale et commune ce n’est pas imaginaire.

L’imaginaire n’est pas un décor, c’est une essence. Sa dose de réalité est un prétexte.

Nous vivrions dans un monde de dignité, on verrait quelques « spécialistes » regagner leur nature de moisissure de la manière la plus expéditive et prosaïque qui soit…

theophile-alexandre-steinlen-1859-1923-chat-au-clair-de-lune

Ne pas être bicéphale relativise la malédiction de vivre

« Le jongleur est entré en marchant sur les mains, récitant des vers du Manfred de Lord Byron avec un fort accent écossais. Puis il tira de son escarcelle trois haches avec lesquelles il jongla sous les ovations de la foule.
– Mais comment peut-il jongler s’il se tient en équilibre sur les mains ?
– Je vous ai expliqué que c’était pour un récit. Si c’est écrit c’est que c’est possible, au lecteur de trouver comment.
– Ca ne fonctionne pas ainsi, il faut que la crédibilité soit établie pour que le lecteur y croie.
– Le lecteur croit ce qu’on lui dit de croire, un point c’est tout. Le jongleur pourra utiliser ses pieds.
– Mais les orteils ne suffisent pas à…
– Alors disons que j’ai précisé qu’il se tenait en équilibre sur les mains, mais je n’ai pas dit qu’il avait les pieds en l’air, il pourra très bien rester courbé et user de ses mains sans que cela pose problème.
– Dans ce cas là où est la prouesse ?
– Oh mais vous m’énervez !
– C’est vous qui êtes pénible avec vos récits décérébrés. La semaine dernière ce fut la huitième note qu’un musicien aurait inventée, et lorsque je vous ai interrogé vous en êtes arrivé à me parler d’une note au-delà de la septième sans même comprendre qu’elle existait déjà et que c’est simplement l’octave ; rendant toute l’intrigue de votre récit absurde. Encore la semaine précédente, avec votre nombre situé, je cite, « à équidistance de 4 et de 5 mais qui n’est pas 4,5 » et dont vous m’avez expliqué qu’il ne sert à rien calculer et que vous n’aviez aucune idée de ce qu’il pourrait être. Et encore avant cela ce fut une nouvelle étoile qui serait apparue dans le ciel, et, là encore, vous ne saviez pas de quoi vous parliez : pollution lumineuse, création d’un nouvel astre et vitesse de la lumière, jusqu’à la plus vague notion d’astronomie, derrière votre idée il n’y avait aucune…
– Oh ça va, hein, pour critiquer vous êtes très fort, mais pourquoi, alors, lisez-vous mes œuvres ?
– Parce que je suis la deuxième tête de notre corps de bicéphale.
– Vous pourriez très bien fermer les yeux, vous débrouiller pour ne pas lire…
– Pas quand vous relisez quinze fois vos écrits à haute voix et que vous me tenez les paupières ouvertes avant de me presser de questions et de me harceler jusqu’à ce que je vous mente en présentant que vos inepties sont très bonnes et qu’il est incompréhensible qu’elles soient refusées par les éditeurs.
– Ah, nous sommes bien d’accord, ce que j’écris est vraiment très bon, et il est incompréhensible que ces idiots d’éditeurs refusent mes œuvres trop raffinées pour leurs misérables éditions.
– Je vous décapiterai un jour !
– Pas si j‘écris un récit qui ferait de nous des jumeaux plutôt que des deux têtes d‘un même corps. »

Que quiconque trouve sa vie exécrable et se plaint de sa solitude se souvienne qu’il aurait pu être la seconde moitié d’un bicéphale et partager son existence entière avec un crétin.

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