» J’aime la pauvreté, balbutia Miss Stiple en pleine transe. Ces belles carcasses épurées de tout espoir, de toute conscience, de toute intelligence, ces bêtes de somme asservies et ni heureuses ni malheureuses de l’être, ces stoïques malgré eux, ces morts-vivants…

– Êtes-vous allée faire quelque séjour mystique en Inde, êtes-vous partie en retraite dans quelque grotte solitaire, êtes-vous rentrée en contact avec l’esprit de Diogène de Sinope?

– Mieux que tout cela, je me suis rendue en un Londres merveilleux, bien plus fascinant que celui des poseurs, prétentieux, pédants, bien-pensants, chrétiens, victoriens… Non, j’ai découvert un Londres peuplé de catins à deux sous, de gamins heureux de patauger dans leur fange au son des orgues de barbarie, de chambres où s’entassent des bestiaux humains, de soumissions parfaites, de miasmes putrides, de vermines, d’innommable sottise et d’incomparable acharnement à faire suivre les jours de peine aux jours d’affliction. Un domaine où rien de l’imaginaire, de la métaphysique, de la transcendance ne peut pénétrer; et mieux que tout : un domaine où le savon est interdit.

– Londres ainsi?

– L’East End, oui!

– Mais enfin, j’ai du mal à vous voir faire le voyage jusqu’en ces contrées.

– Quel matérialiste vous faites, mon ami. J’y suis allée par la pensée. Tenez, lisez cet ouvrage et osez me dire que vous n’avez pas envie d’empêcher l’un des bougres décrits à mettre fin à son calvaire, de toutes manières personne ne s’en souciera, vous passerez pour un héros alors que vous serez un parfait salaud : empêcher une telle épave d’en finir avec son existence. Venez me dire que vous n’avez pas envie de lui jeter les pires détritus et observer ce qu’il serait prêt à ingérer pour remplir son pitoyable estomac. Il y en a quelques-unes, de bonnes expériences anthropologiques ou philosophiques à opérer là-bas, en toute impunité.  »

 

Les bas fonds de Londres

http://www.leseditionsdelantre.com/?p=470

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