Kovac n’a pas toujours été ce monstre au visage en lambeaux que l’on ne croise que la nuit, bien que son état soit le résultat du romantisme qui a toujours été celui qui ouvrageait les limbes de son âme.
Nous sommes devenus amis tandis que nous tentions tous deux d’être peintres. Nous échangions des lieux où poser nos chevalets, dissertions au sujet des couleurs ou de la puissance des symboles, des essences que doivent comporter toutes les œuvres d’art, et ce genre de propos idéalistes auxquels croient les jeunes. Ce fut lui qui nous incita à aller fureter par les cimetières pour trouver l’inspiration.
Au crépuscule on pouvait souvent apercevoir nos silhouettes saisissant quelques angles de ruines, des stèles dévorées par le lierre, des sols avachis sous le poids des ans et le vide des sépultures.
Ce ne fut que bien plus tard, tandis que les ans nous avaient à chacun fait prendre des routes différentes, que mes pas me menèrent en cette vieille nécropole plombée par les éclats de la Lune. Tout d’abord, à la vue d’un autre intrus dans la cité funéraire, je pris peur et allai fuir, mais je reconnus la physionomie de mon vieux camarade que j’osai saluer, malgré le caractère singulier de la situation.
Il m’expliqua que lui aussi avait abandonné l’art pictural, mais qu’il avait persévéré dans l’art, se consacrant désormais à la musique, raison pour laquelle il auscultait la terre à l’aide d’un stéthoscope de médecin. Après avoir tassé la terre d’une fraîche tombe, il plaçait le cercle auditif sur le sol et écoutait, parfois la nuit durant, le son de la dévoration cadavérique. Pour l’inspiration, disait-il.
Quelques mois plus tard je le retrouvai au même endroit, armé d’un long tube métallique creux qu’il plantait en terre. Il riait, hurlait et dansait pareil à un loup dément. Le tuyau profondément planté, il craqua une allumette et la plaça en haut du  tube, ce qui, avec les gaz de décomposition, fit luire une flamme mortuaire à laquelle il alluma négligemment sa pipe. Pour l’inspiration, disait-il.
Ainsi inventait-il toutes sortes de procédés ingénieux, explorant la mort avec une déconcertante originalité. Quelques fois je suis allé à ses concerts, ils étaient assez quelconques, et je suis sûr qu’il n’y incorporait aucun élément de ses frénésies nocturnes, que la musique n’était qu’un prétexte qu’il avait préparé en cas de flagrant délit.
Parfois il usait de son tuyau simplement pour creuser un passage jusqu’aux dépouilles, alors il y lançait un hameçon et remontait divers éléments qu’il inhumait ailleurs. Parfois c’étaient des linceuls qu’il pêchait et dont il faisait ses mouchoirs. Là encore, pour l’inspiration.
Son visage prit son aspect cependant qu’un gaz s’enflamma tandis qu’il se délectait du fumet funèbre au tuyau.
Voilà l’histoire simple de l’origine des lambeaux faciaux de Kovac.

Please follow and like us:
0
20
Pin Share20