Méfiez-vous du rojo, m’avait-elle pourtant répété. Je n’y avais rien compris.

C’était l’une de ces délurées proches de la vésanie, de ces personnes femelles du genre féminin qui se pensent égales aux hommes du genre mâle, pourtant j’avais accepté son invitation : elle avait un je-ne-sais-quoi de mystérieux et d’exotique, la physionomie d’une nordique avec une joie de vivre latine et des manières de slave. « Méfiez-vous du rojo ! » me répétait-elle avec un accent du sud Chili comme pour ponctuer les phrases de ses monologues que j’écoutais avec la bienveillance que l’on doit toujours sembler accorder aux faibles et aux infirmes, qu’ils soient femmes, enfant, basanés, lobotomisé ou autrement tarés.

Elle n’avait aucun domestique pourtant sa maison était bien tenue, jonchée d’orchidées, de lys et de roses blanches, un parfum funéraire mêlé aux huiles et aux éléments étranges qu’elle concassait avec ses petites bras de femelle pour produire ses pigments flottait dans l’air.

« Je vais faire le thé, errez à votre convenance mais méfiez-vous du rojo, me lança-t-elle avant de me laisser là.

Aucune de ses œuvres ne paraissait achevée, et je crois qu’à certains moments de ses divagations elle m’avait expliqué que rien n’était jamais terminé, que l’abstraction nécessitait une certaine part de vide et que de ce vide jaillissait l’imagination, ou quelque billevesée du même acabit, ce genre d’arguments livrés par les artisans désirant faire passer leurs productions pour de la volonté intelligente. Néanmoins je voguais dans cette nauséeuse mer de toiles, titubant dans ce labyrinthe de vagues artistiques, lorsque je me retrouvai dans ce qui parut au premier abord une vaste pièce mais qui, par un curieux effet de dégradés de la teinte des murs et du plafond, évoluait en un couloir. D’abord mauve puis pourpre puis bordeaux puis vermeil. Et enfin… damnation ! je n’étais plus dans l’avant-garde, je n’étais plus dans le moderne ni le post-moderne, ni même dans le futurisme, ni même encore dans quelque tolérable décadence : j’étais au 21° siècle !

On m’a informé que le voyage dans le futur est possible mais que le passé est toujours révolu. Par tous les cieux, quel rapport avec le rojo ? Par toutes les quadratures des cercles de l’enfer cubiste, renvoyez-moi dans le pré-moderne !

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