Fugaces sont les ombres qui, sous les chênes argentés, glissent lorsqu’à l’horizon vespéral brûlent les vapeurs éthérées des chaudes et moribondes journées d’automne. Seulement des ombres, des reflets d’autres mondes filtrant par ces lieux enchantés, pour les âmes pures faire rêver et inspirer. Par-delà les fadaises du mauvais démiurge, ils hantent une contrée de songes, nés du chaos, n’existant que par l’enchantement, parfois les a-t-on dépeints en démons, en fééries, en chimères, en spectres ou en dragons, bien que leurs essences soient de cristaux oniriques. Leurs chants ont ce rythme complexe et naïf d’une pluie de saison morte s’épanchant sur un lac où agonisent des cygnes célestes, leurs musiques muent les tristesses en mélancolies et la rage en poésie.

En ce seul lieu peut-on les entrapercevoir, où sont venus gésir la quiétude et la solitude, où sont venus pourrir et fertiliser les poèmes sans encre et les cris sans larmes.

… Mais puisque les étrons bipèdes ont besoin de partager leurs autoportraits avec le reste du monde, on y a placé une antenne relais et aménagé de quoi parquer leurs bolides par lesquels ils déplacent leurs miasmatiques et sordides communautés. On peut s’y abreuver en parlant fort de choses creuses, on peut se réunir et festoyer en lorgnant les belles loches des serveuses. Loin de moi l’idée de blâmer ceux qui assument pleinement leur nature de fange prosaïque, très loin de moi l’idée de cracher sur mes semblables. Soyons étrons ! ou l’économie s’effondrera, divertissons-nous et cultivons le succès.

troupetron

Moi non plus je n’aime pas les futures générations humaines, moi non plus je ne souhaite pas leur laisser un monde où la rêverie, le bucolique, ou la quiétude auraient leur place. Faisons en sorte que tout acte ne soit permis que par la justification sociale, économique, prosaïque ; que tout racle le fond des abîmes et remue le limon, que toutes les crasses soient draguées et érigées en fierté. Que ceux à qui nous infligeons la vie subissent aussi notre avidité et notre médiocrité, bâtissons du hideux en le nommant beau sous prétexte que des dégénérés l’estiment digne d’y investir leur or – esthètes conformés nous sommes et demeurons – , piégeons le futur avec l’érudition (car l’érudition reste une forme de puissance de la communauté) afin que nul ne puisse se souvenir qu’en soi l’ingéniosité peut naître, que l’originalité soit folie, que l’autarcie soit maudite.
La concupiscence sera le genre humain – la chute dans les abîmes de tout ce qui nous entoure ne rend que plus aisé le détachement au monde, plus personne n’a d’excuse pour s’incliner, respecter ou croire en quoi que ce soit, tout est nivelé à hauteur du rampant.

http://www.victorianweb.org/art/illustration/dore/london/7.jpg

Please follow and like us:
0
20
Pin Share20