Ce fut lorsqu’ils eurent besoin de roches de bonne qualité et que le jeune Albert leur conseilla de s’approvisionner dans la vallée de l’Uüba’hk que ça commença à se répandre. Je les vis passer de plus en plus nombreux, charriant d’antiques blocs en défonçant les vieilles voies pavées. Rien de bien nouveau que cette course effrénée dictée par la cupidité, pas plus inédit que leurs rires lorsque le vieil ermite les mit en garde en les avertissant du caractère sacrilège et périlleux de leurs agissements.

C’est que ce n’était pas un lieu étrange, les lieux étranges répondent encore à certaines lois, à certaines règles certes bizarres mais soumises à une certaine logique… C’était un lieu qui n’aurait jamais dû être là, qui n’était pas d’ici.

Ils crurent à des tremblements de terre lorsqu’ils s’effondraient au sol tous les jours à 14h18, tous pris d’un violent et soudain mal de mer. Les mouvements sardoniques des séculaires chênes, ils les attribuèrent au vent et aux corbeaux qui se mirent à pulluler. Les vapeurs explosives ? Des feux follets. Les curieuses différences entre les plans topographiques et la réalité ? De simples erreurs des cartographes. Les cadavres d’animaux inconnus trouvés dans des fosses ? Bah ! Il reste tant à découvrir, laissons les scientifiques chercher la petite bête et contentons-nous de travailler pour jouir du fruit de notre labeur. Ces tablettes d’obsidienne gravées à l’aide de griffes et représentant d’indescriptibles infamies ? L’œuvre d’enfants de la préhistoire. Les couleurs soudainement dansantes des rayons de la Lune ? La fatigue. Les constellations disposées de manière différente lorsqu’on les observe depuis cette vallée ? L’astrologie et toutes ces choses de bonnes femmes ; de toutes manières personne n’observe les étoiles. Les pierres parfaitement taillées de cet escalier en colimaçon qui descend dans les entrailles de la colline ? Le hasard, ou bien les restes d’un antique château recouvert par le fruit des âges. Qui sait ? Et surtout qui s’en soucierait ?

Non, je ne souffrirai plus que l’on me traite de misanthrope avec un sourire de dédain lorsque je honnirai l’espèce humaine quand de tels exemples s’offrent à nous. L’être humain est le chaînon manquant entre le minéral et l’animal ! Même les chiens ont déguerpi lorsque les sons de tambours ont commencé à retentir depuis les failles. Et même le lichen s’est laissé partir en poussière lorsque les empreintes de pas marquant même la roche sont apparues. Même les insectes fuyaient en colonnes quand ces cris gluants firent de cette vallée un lieu digne d’une description médiévale de l’enfer. Mais les Hommes, ah, les Hommes, eux, ils trouvaient toujours une explication scabreuse.  Alors vous m’excuserez mais je ne vais pas pleurnicher ni me porter volontaire pour aller les délivrer de leurs liens et des tortures qu’ils sont en train de subir. Je ne vais pas non plus me dresser face aux immondices qui vrombissent et rampent de plus en plus loin hors des frontières naturelles qui naguère les emprisonnaient encore, allant jusqu’à parfois errer dans nos rues, s’insinuer dans nos musiques et même dans nos rêves. Pourtant, même si désormais je n’ai plus d’estime pour vous tous qui êtes irrémédiablement aveugles, sourds et fous, j’ai encore assez d’empathie pour souhaiter à chacun de mourir plutôt que subir les périls que nous réservent ces choses.

Faites comme moi, choisissez votre moyen, pendez-vous, précipitez-vous du haut d’un pont, tirer-vous une balle dans la tête, ouvrez-vous les veines, avalez du poison, mais ne restez pas là à ne rien faire ou à espérer fuir. Il est déjà trop tard. Ecoutez. Ecoutez ! Le son est presque le même que le bourdonnement du silence, et pourtant…

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