L’Antre de Claude Seignolle

Carcans de béton et impitoyables modernités n’ont aucune prises sur la demeure du maître ès curiosités. C’est un musée de l’étrange et de l’insolite où statues divines et plantes multicolores côtoient les secrets et les mystères des grands de ce monde.Sanctuaire enveloppé et protègé par une lumière tamisée, qui révèle aux visiteurs des milliers de livres et classeurs, autant d’âmes sauvées par Claude Seignolle, qui n’ont jamais vraiment goûté les lèvres amères de l’oubli, fidèle allié de la puissante faucheuse…

Dès le seuil franchi, le visiteur devient passager clandestin d’un voyage dans le passé qui provoquerait envie et désir pour tout lecteur d’H.G Wells.

Prenez place mon cher Ami , par cette phrase Claude Seignolle suspend le temps et par le son de ses paroles semblable à la mélodie d’un Paganini, vous emporte en une lointaine contrée dont il est le seul gardien. Par ses mots qui ouvrent comme d’innombrables clés les portes d’un lointain passé, les heures se transforment en minutes, puis en une poignée de secondes. Chronos ne peut qu’abdiquer face aux mélodies verbales du dernier des conteurs.

Claude Seignolle vainqueur du temps qui passe, ultime rempart contre les crocs du Vampire de vie, est le dernier recours contre les infatigables Parques chargés de trancher les fils de nos existences impies.

Elément immuable dans un monde de tempêtes technologiques de glaces et d’acier, il est tel le chêne retenant par ses racines notre terre de traditions et de coutumes, limon de notre humanité.

Les Anciens savaient lever le voile des mythes ancestraux, ils appelaient cela voir le Dieu Pan… Digne successeur, héritier de ce savoir, Seignolle nous livre à travers son sanctuaire, les paroles de milliers d’êtres qui nous susurrent à l’oreille, souviens toi et ne m’oublie pas …

Je suis plusieurs, tel se définit Claude Seignolle, infatigable travailleur et collecteur de mille et une mémoires. Mais devant votre colossal travail, fruit de 70 ans d’efforts , je n’ai pas peur de vous dire … Monsieur Seignolle, vous êtes légion.

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En dépit de la grisaille Châtenaysienne, au programme, un billet de non-retour dans un Nord plus glacial encore qu’à l’ordinaire…. Brumes seignolliennes, que nous connaissons tous plus ou moins bien, d’ailleurs… Mais aussi chaleur obscure, indéterminée, qui perçait, atténuant les frissons humides de l’air parisien ; une émotion (fantastique?) qui « scandalisait » le monde dans lequel je semblais vivre… Après avoir grimpé les x marches des 4 étages du mauvais bâtiment, et les avoir, de ce fait, redescendues au plus vite ( sous le coup de l’angoisse montante qui agissait en moi comme un démon de torture, mais que je ne voulais cependant m’avouer…), je me fis guider au téléphone par Claude Seignolle, jusqu’à l’ascenseur, que dis-je, jusqu’à la porte de son antre… Porte qu’il venait d’ouvrir à ma curiosité alors que j’étais encore dans l’ascenseur, craignant d’ouvrir la porte qui me retenait prisonnière et en même temps plus libre que jamais comparé à ce qui m’attendait!!!

Il me reçut donc sur le pallier avec une grande joie…
Respiration profonde avant de sentir mes membres défaillir. Je laisse tomber mes sacs et me voilà dans son univers flamboyant de mystères et de savoir… Il est là, le sachant fait homme au regard pétillant de malice et il s’impose à mon inculture frémissante de curiosité… Une voix multiple sourd de ces murs couverts de mots, tapissés de florilèges, emprunts de poésie… et malgré tout en moi un long silence se fait…L’inexprimable, tout est bel est bien au-delà des idées que l’on peut se faire de ce « grenier », aussi merveilleuses qu’elles soient…Mon regard voltige… Le vertige du roseau qui plie devant la robustesse d’un chêne éternel aux racines profondes à qui l’on a confié la légende des siècles, mille secrets, mille vies, mille frayeurs et puis, et puis, un Baiser… Il est là qui m’indique le chemin et mon pas prend son envol comme pour échapper au premier obstacle: cette marche traîtresse qui donne l’accès au trésor…

Je ne sais où donner de la tête, le mythe prend forme devant mon regard figé de bonheur…
Il est là parmi les livres, plus rayonnant encore que je ne l’avais imaginé, il se dresse parmi les livres, les classeurs empilés et ordonnés, les statues amies, les grandes figures d’antan, les tableaux, les objets, tout un monde « magique » qui se créée autour de moi comme un théâtre de personnages…Laissant planer l’ombre de l’angoisse, du doute, du frisson mais aussi étrangement du bien-être comme si notre conscience avait de tous temps été vouée à ce genre de sensations… Il me dit de crier sur les toits de Châtenay qu’il est beau et il l’est, j’approche de la fenêtre et je le hurle afin que personne n’en doute jamais…
Et puis…

Il y a l’homme, le grand-père de toujours, que je retrouve après plus d’un siècle, après m’être mise à mon tour en quête de son pas de « collecteur d’âmes » … Je retrouve au même instant, sur le sol, un timbre représentant le portrait de Chopin, qu’il me signa lui-même, comme pour sceller notre amitié en y ajoutant: «  De la part de Frédéric à la petite fille (future) de son dépositaire Claude Seignolle » , je ferme les yeux à sa demande et à cet instant même, je sens sur mes lèvres, le baiser de cet immense artiste dont Claude se fait témoin, en parvenant prodigieusement à traverser les âges pour nous en ramener le meilleur…. Le baiser du passé, le baiser du ressouvenir… Que dire? Que penser même? Je crois qu’il m’est incapable de prononcer le moindre mot, je viens de retrouver ce grand-père dont le nom m’était encore, il y a neuf mois, dangereusement étranger…

Je sais que ce sceau de Chopin, offert le 3 mars de 1849, découpé en forme de cœur par la main de mon grand-père, sera archivé à jamais, transmis à volonté, par ma parole….
Ma main qui déjà ne tremble plus à l’unique idée de posséder l’impossédable, de traduire l’intraduisible, de pénétrer l’impénétrable, saisit sans plus s’interroger cette coupe de champagne que lui tend chaleureusement le meneur d’étudiantes et qui nous lie aussi à jamais… Le regard…

En ces quelques premières minutes, l’histoire avait déjà frayé en moi la voie des contes et des légendes, avait tissé la toile des superstitions… Que de tiroirs ouverts, refermés, et rouverts à mon attention méditative ! Et Claude Seignolle marche délicatement sur ces fils comme il caresse les cordes du violon du passé. Il analyse mon attitude tantôt passionnée, tantôt troublée, tantôt dubitative et moi j’observe son regard aussi riche de mystères que d’attentions et de sensibilité. En quelques instants son iris sombre m’invite à parcourir les ténébreuses rues parisiennes, St Martin, Rivoli, Quincampois, Maubuée, y apercevant la silhouette d’une jeune fille fuyante, insaisissable… Je me sens fondre d’émotions intenses et brûlantes comme le rouge souriant de sa robe, et finalement, comme envoûtée, je me laisse aspirée par la grandeur de l’église St Merry…Elle est passée par ici et son pas claque sur le sol pavé, les rats passent et repassent, bénissant son passage. L’immensité des demeures étreignent la ruelle, les porches maudits qui s’écoulent à la lumière des lampes au loin… Et je le sens la suivre comme un autre fantôme de moi-même à travers les sentiers d’un l’onirisme fécond…

J’entends cette voix résonner dans cet endroit rocambolesque, asphyxiant de beautés en tournant les pages du livre que je tiens entre les mains, la voix de l’homme qui la veille, dans l’antre me dit ceci:  » Et n’oublie pas que tu vas traverser la rue de Delphine… »L’autre » et peut-être la même,  » toi? »

Je suis tout simplement éberluée comme tous ceux qui sont passés avant moi dans les toiles seignolliennes. A la campagne ou à la ville, mon grand-père est là qui m’attend en toute simplicité, en toute complicité, assis confortablement devant l’écran des adaptations de notre grand ami Wronecki entre autres, attendant mes impressions (Alors qu’il réalisa avec trop d’indulgence que je n’avais pas encore lu le millième cierge! Quelle honte!) J’aurais dû être fouettée par son regard de cendre, mordue! Le jour suivant nous visualisons entretiens mais aussi films et rushs avec tout autant de passion qu’il n’en faut pour les écrire ou les lire… Et je sens là toute la satisfaction d’un homme comblé…

Il m’emmène sur la tombe de sa famille, toute l’enfance sorcière y vit, s’y meut d’admiration pour l’enfant-roi, le vendeur de fleurs du coin des rues de Châtenay, le petit polisson des forêts devenu le grand sachant que l’on connaît… Il cligne de l’œil au fossoyeur-ami comme pour lui dire adieu et au plus tard possible, le sourire aux lèvres et la malice au coin de l’œil…. Il m’emmène chez son libraire ou il est exposé à juste titre comme le maître des maîtres…
Il m’emmène au bureau de tabac, où il achète son journal, à la boulangerie, à prisunic, histoire de faire quelques courses, mais cela personne ne le croira….Mais Claude Seignolle est ben et bien un diable d’homme!!

Enfin, dernier après-midi, un petit tour au sein des dossiers d’écritures, de lettres et de paroles précieuses de nos ancêtres me laisse abasourdie et médusée à la fois. Je sens mes yeux parcourir à loisir ces rangées de classeurs d’autographes surlignant les siècles voire les années avec précision, afin de les fixer à jamais, n’omettant aucun détail de vie… Une plongée dans le mythe Rousseauiste, un petit tour à cheval en compagnie de la pucelle d’Orléans, un voyage au creux des chimères Baudelairiennes et l’entretien touche à sa fin, dans une demi-heure, mon passage en Seignolland ne sera plus qu’un souvenir heureux, un album photos, une série de quelques cassettes audio, quelques dédicaces de plus…Et surtout le souvenir d’un grand-père de plume fantastique, surprenant, éternellement jeune, dont le sourire indélébile est inscrit sur les pages de mon mémoire…

Le souvenir d’un grand-père « dont le regard et la chevelure troublante justifient sa rime divine… » Un grand merci pour ces instants percutants de mots, de joies, de vie, d’émerveillement… Tout ce à quoi il m’a convié le temps de quatre jours inoubliables!

Delphine, Février 2001