Claude Seignolle ou la plume épistolaire

Grand talent de plume, il aime rester en contact permanent avec ses amis. Souvent, la longue et élogieuse lettre à la fois suit la conversation téléphonique et apporte quelques autres pierres indispensables à la future discussion… Toutes les occasions sont bonnes pour continuer à tisser ces liens présents avec ses  » amis lecteurs  » qui sont souvent aussi ses  » avocats « , liens très étroits qui uniront Claude au futur lectorat . Claude Seignolle veut connaître les personnes qui se chargeront de transmettre sa parole d’ethnologue, de folkloriste et d’écrivain…Ses prophètes… Il veut s’assurer que cette tâche sera au mieux accomplie …Et elle le sera…

Voici quelques passages de lettres écrites à l’intention de l’un de ses amis, Arnaud Huftier, passages de lettres reportés, en guise de préface, au sujet de l’ouvrage d’Arnaud Huftier intitulé L’Unité Double, Jean Ray-John Flanders et publié en 1998.

Delphine P.

22.09.97

Cher Arnaud Huftier,

Désolé de vous avoir envahi hier après-midi (et soir) de ma faconde mais vous êtes coupable de m’avoir écouté jusqu’à mi-bout sans m’interrompre.

(…) Voici quelques petits plats supplémentaires utiles à ma connaissance : ces livres que vous n’avez peut-être pas et qui confirment le on-dit :  » parler ou serrer la main de Seignolle équivaut à provoquer l’arrivée d’un rayon de bibliothèque chez soi  »

Excusez-moi mais je suis comme ça, spontané et pieds dans les plats.

Sympathiquement vôtre.

Claude Seignolle

 

 

6 XI 97

Cher Arnaud Huftier,

Je vous renouvelle mes remerciements pour le splendide cadeau rayen d’où se dégage la vérité secrète des cadres mystérieux de notre ami, si tant Nosferatu et cependant, pour moi, la crème des preux en rupture d’armure et à la recherche d’âmes encore émerveillables (!) si l’on peut dire d’un homme fait mythe.(…)

A bientôt et merci de ces belles attentions que vous m’offrez.

Claude Seignolle

 

 

14 XII 97

Cher Arnaud Huftier, Je viens de lire votre introduction d’un trait. Vous savez faire revivre comme on aime les gens qu’on aime. Quel éloge au conteur!
Ce petit godet de votre fabrication laisse présager d’un sacré tonneau diablement fourni d’idées.
Et je lis votre citation relative à ma personne et je vous en remercie tout simplement parce que je suis de ceux qui (sans aucun orgueil) aimerait laisser des traces durables de leur passage ça et là, tel le lierre qui, même mort, laisse des petits bouts de ses racines racornies entre les pierres des murs séculaires.
Vous dites de bien belles et justes choses sur la création des légendes- il faudra que je vous parle de Bergier…Un champion dans le genre.(…)

A vous.

Claude Seignolle

 

 

22 XII 97

Cher Arnaud,

Vraiment, j’ai la chance des amis à qui on confie l’inédit et les faveurs! Votre texte m’a happé mais j’avoue que le primaire en moi a dû aller lentement dans le style archi-pointu de votre chapitre 1 ou pourtant vous exprimez ce que j’ignorais de ce Christian Signol qui vend tant de livres qu’on ne lira peut-être plus dans 20ans. Curieuse coïncidence: j’attendais depuis longtemps que quelqu’un m’éclaire sur nos démarches différentes, justement souhaité par moi à qui on a dit (Peyramaure) qu’il avait longtemps souffert chaque fois qu’on le prenait pour moi (comment vont vos histoires, cher Christian Seignolle?)
Par contre, petit lait par la présence de Jean Ray dans votre chapitre 2. Quelle connaissance de l’homme, quelle richesse tant en lui qu’en vous qui le racontez jusqu’à la précision du micro-mot!
Ca va faire un sacré bouquin et l’éditeur doit bouillir d’impatience(…)
Mon bon Arnaud, je suis heureux de vous connaitre et vous savez défendre ceux que vous aimez.

A bientôt

Claude Seignolle

 

 

9. I. 98

Cher, efficace et bon Arnaud,

Avant toute chose et en priorité j’aimerai relire vos transcriptions (de Luc Ruiz et de vous) de mes entretiens, car je ne me fais pas du tout confiance dans mes propos bavards, donc parfois confus. Je compte sur vous. C’est capital car je peux affirmer ou supprimer des sous-entendus à l’opposé de ce que j’ai voulu exprimer: c’est là le grand danger qui menace sans cesse le conteur qui, devant l’approbation d’un regard d’auditeur, veut continuer à le séduire coûte que coûte avec des mots creux qu’il emploie alors. Belle musique pour soutenir la gestuelle mais piètres idées une fois jetées sur le papier: image: les poissons exotiques colorés deviennent gris hors de l’eau! (…)
Après lecture de la suite sur Jean Ray: à vous lire je me sens tout minuscule tant votre horizon atteint les limites solaires.
Je crois que pour vous pénétrer, il faut une préparation universitaire si ce n’est universelle: rien que les « préliminaires du je » qui sont votre cri du coeur, en dehors même de votre Jean Ray, mériteraient- cher poète du grand- un long développement de chaque porte ou fenêtre que vous entrouvrez sur ce sentiment si personnel…
Alors, le petit moi vous regarde, vous déchiffre et , en même temps, revoit l’image, chez lui, de cet Arnaud là qui tisse sans répit une grande tenture d’idées pour moi remuantes jusqu’à la secousse.

Cette richesse m’oblige à y revenir sans cesse comme un retour risqué dans la caverne d’Ali Baba d’où on ne peut emporter que peu chaque fois, nous obligeant à y retourner par générations des siècles durant, sans jamais pouvoir en faire le dérobage complet. Jean Ray- le veinard- profite de cette aubaine enrichissante qui le couvre de bijoux somptueux autant que, peut-être, n’en a t-il jamais espérés. Je ne sais pas analyser, mon laboratoire d’opinions est très rustique, aussi pardonnez-moi de me risquer à des remarques peut-être  » à côté » mais ce que je sais, moi, c’est que vous me plaisez énormément déjà par la simplicité de votre personne parfois pudique qui ne veut pas faire de peine aux autres.
Cette délicatesse, complétée par votre savoir-dire, va loin en moi et ce que vous avancez ça et là me concerant, j’y crois d’autant plus fermement que vous n’êtes pas un flatteur (et pourquoi mon Dieu!)
De nombreux fils secrets nous relient et je vous renouvellerai tjs, avec mes moyens paysans, ces solides tapes sur le bras que nous nous donnons à la campagne depuis bien plus longtemps que les gens de la ville, de m’avoir associé au dernier espoir d’immortalité de Jean Ray: c’est donner corps à nos rêves et garder chair à nos gisants.
Merci pour nous…

J’ai bien apprécié le travail de Jean Ray sur  » la hantise des carrefours » et je pourrais faire pour ma part cent articles sur les mille motifs du folklore français dont les Evangiles du Diable sont un faible aperçu. Il faudra que je vous offre mes livres de traditions populaires pures(…)
Je suis très heureux d’exister dans votre prochain livre.

A vous,

Claude Seignolle

 

 

15.01.98

Lettre écrite dans le souffle apaisant que vous venez de m’offrir à l’instant.Merci.

Cher Arnaud,

Je suis ébloui, heureux, confondu, satisfait, soulagé par le contenu, le ton et la vérité de votre présentation des Entretiens pour Otrante. Jamais personne n’avait vu aussi juste ma position vis-à-vis de mon œuvre. Ce que vous m’aviez dit au téléphone de la rédaction négative de certaines personnes à ces entretiens où ils n’avaient pas perçu l’écrivain expliquant sa technique et ses motivations et qui m’avait, je l’avoue, chagriné, se trouve tout d’un coup effacé, oublié grâce à votre plume subtile et parfaitement juste. Merci de souligner que je suis un  » cas  » et de l’expliquer.
Enfin j’ai trouvé celui qui voit et sent le Seignolle que je suis et j’ai bien envie de faire tirer à part votre texte pour l’offrir à tous ceux qui, venant me voir pour des interviews, repartent parfois aussi affamés qu’en arrivant chez un supposé  » gendelettre « . Si vous gardez la haute main sur la suite des entretiens confus entre nous quatre (Ruiz, vous, Mellier et moi), je vais pouvoir dormir tranquille, vous saurez sertir les quelques  » pépites  » tirées de mes boues volubiles mais pures et coulant de source… (…)
Je lis que vous faites feu de toutes saillies sur l’abrupte falaise de ma personnalité et cela explique les stupéfiantes explications de la démarche rayenne que je vais poursuivre dans votre chapitre VIII dès que j’en aurai fini avec la relecture, réécriture de passages des Evangiles Du Diable : urgence qu’exige Bouquins, le grand prioritaire du moment.(…)

A bientôt, votre ami

Claude Seignolle

N.B. Quand je pense que toute cette œuvre est le produit de choses vues et ressenties à travers un monde à l’agonie, je me dis que j’ai eu la chance de rester moi et de m’en tenir là envers toutes les commandes alléchantes qu’on me fit.
Chapeau Mr Huftier, vous me racontez comme si j’étais un  » éclat  » d’homme que vous venez de décrypter et que vous allez transmettre avec la solidité d’une fidélité sans doute nécessaire à votre tempérament généreux. Je suis  » moi  » et vous m’y laissez Mon amie, qui vient de vous lire, me dit :  » C’est bien toi, ça !  » et l’a aussitôt relu pour s’assurer de ne pas avoir jugé trop hâtivement et, après être allée voir dans le Larousse un certain mot :  » Ton amine jette pas les expressions à la légère, elles disent ce que ça veut dire « Il s’agissait de « concaténés « , terme barbare pour l’aborigène périgourdin sans doute aussi petit-fils de Cromagnon – Au fait, voici 65 ans, à la réunion mensuelle de la Société Préhistorique Française, j’ai marché par mégarde sur les orteils de Peyrony, le savant découvreur au début du siècle des grottes de la Vezere et grand désensevelisseur de l’Homme de Cromagnon…

Il a hurlé si sauvagement qu’aujourd’hui je me demande si je n’ai pas entendu le cri de l’ancêtre proféré par celui qui l’a décrypté.

 

16.I.98

Cher Arnaud,

J’ai fait quelques mises au point justifiées sur votre texte: avez-vous reçu ma lettre d’hier où je vous clame ma reconnaissance d’avoir su dire ce que personne ne semble avoir compris?

Merci pour la copie d’Ontogénèse et Philogénèse fantastiques à travers l’oeuvre de Jean Ray: john Flanders où je vois que j’étais déjà dans votre esprit critique et comparatif avant nos rencontres. Il me reste à plonger dans le maëlstrom du chapitre VIII « Jean Ray » et rien qu’à en voir l’écume je sens que ce sera du grand Huftier! Trève de compliments…

Votre ami

Claude Seignolle

 

 

22. I 98

Hier j’ai eu Luc Ruiz au téléphone et je lui disais la fascination que j’éprouve pour votre scalpel d’analyste chirurgical, et même, ma sincérité à avouer le primaire devant un texte ( votre chap.VIII) non seulement universitaire mais également hermétique par endroit. Faut-il être simple d’esprit ou orgueilleux pour juger ce que l’on dit des autres? En tout cas, je mise sur la clarté que vous allez apporter dans mes propos bavards qui, eux, doivent à leur tour vous paraître barbares, incohérents et sans queue ni tête. Faites donc un miracle, Arnaud!

Au fait, ne faudrait-il pas éclairer votre citation de  » celui-là-moi » qui ait été jeté dans la seine pour sauver une noyée, tout comme on m’a obligé d’écrire en fiction ce que j’aurais trouvé dans une réalité folklorique? Reste qu’il y aurait à employer mon cri du coeur sur l’homme que je suis et qui figure dans « le chupador »: « Et elle me parle comme à un enfant auquel il faudrait tout expliquer de la vie alors qu’en réalité je suis un homme sachant tout d’elle mais qui, sur le point de la perdre, aime s’entendre rappeler ce qu’il sait comme s’il ne l’avait jamais su. »

Amen…

Claude Seignolle

 

En quelques mois, Claude avait adopté l’écriture leste et vivante, judicieuse et pertinente d’un autre  » avocat  » de sa propre personne. Un  » abominable critique de vérité « , certes, et vous en jugerez à la lecture des articles d’Otante 10, mais dont il reconnaît le goût extrême pour les mots vrais et justes, précis en Diable et à l’impact souvent tranchant. Tout est dit, en deux lettres qu’il lui adressa, et que j’ai pris soin de choisir parmi les dix dont Arnaud Huftier nous a bien généreusement fait cadeau, en guise de préface à son ouvrage. Merci à lui.

 

Claude Seignolle : Enlumineur d’histoires

 » Voici l’histoire de nos  » pays  » à travers des milliers de pages racontant la tradition populaire.

Voici un conteur – né, intarissable, prêt à bondir d’un sujet à l’autre sans qu’on y prenne garde, un inlassable enlumineur d’histoires. Claude Seignolle porte à lui seul une partie de l’histoire de France, son folklore, ses légendes, ses superstitions, croyances, facéties, sorciers et diables divers. On trouvera dans ces quatre gros volumes des histoires des pays de la Bretagne au Limousin en passant par la champagne, la Provence, l’Auvergne…Auteur de nombreux contes comme ceuxd de la nuit des Halles, Caude Seignolle a regroupé une foule de récits merveilleux, d’un nombre considérable d’auteurs inconnus ou tombés dans l’oubli[…] Il sait faire du détail un diamant…  »

Par Alfred Eibel, valeurs actuelles,

24 mai 97

 

Article sur La gueule

 » Claude Seignolle est l’un des plus grands ramasseurs de contes, récits, légendes de France de ce siècle, plus de cinq mille histoires rassemblées durant sa vie. Sait-on qu’il est également un conteur stupéfiant qui enthousiasma Lawrence Durrell, l’amenant à préfacer La Malvenue. Personnage haut en couleur au maintien de Barbey D’Aurevilly, Seignolle sous ses différents masques a toujours évité de se livrer.  »

Valeurs actuelles, avril 99

 

Magazine Solognot : Une rencontre avec Claude Seignolle

 » Popularisée par Philippe Legendre Kvater, l’image de Claude Seignolle en  » meneur de Loups  » s’est peu à peu imposée, figeant le Mythe. Mais où donc se terre t-il ? Pas en Sologne, ça se saurait. Peut-être dans son Périgord Natal, dans une maison rustique mais cossue, de celles où aiment à se retirer les hommes d’importance. En fait, ce n’est pas un grand mystère, il n’a jamais quitté le territoire de son enfance, étouffé par une fôret de béton du côté de Robinson. Il s’y est creusé une clairière luxuriante. Un peu reclus certes, mais il continue d’affréter des cargos de papier et de voyager dans les provinces de l’imaginiaire…en Seignolland  » .

 

Les passages en Seignolland

 

Alain Delbe et l’île du sorcier

 » Que pensez vous de ça ? La porte vient à peine de se refermer. Nous sommes encore debout dans le corridor. Délaissant les présentations, Seignolle me tend une lettre jaunie, un double feuillet couvert d’une élégante écriture. Je le sais collectionneur d’autographes et, flairant l’épreuve dont dépendra ma part des secrets du lieu, je concentre mon attention sur la lettre[…] Je regarde autour de moi. Où suis-je donc ? Je suis venu rencontrer l’écrivain, le  » chasseur de mauditions  » dont les livres d’ « envoûte  » me fascinent depuis adolescence.[…] Me voici devant un véritable  » capharnaüm  » de livres, de tableaux, une brocante de bibelots, statues et vieux papiers. Il y en a partout, aux murs, par terre, sur le canapé. Une énorme table en est toute couverte. Les étagères sont si chargées qu’il faut prier que jamais ne leur vienne le moindre hoquet. Tout cela vibre des couleurs rouges et noires, nuit et feu, des peintures au point que je crois me trouver dans les coulisses d’un fameux Opéra, hanté d’on ne sait quel fantôme, où l’on entreposerait en vrac les pièces les Plus hétéroclites en prévision de tous les décors possibles…

 

Arnaud Huftier et la difficulté du face à face :

 » Une entrevue avec Claude Seignolle se présente alors comme un maelström où il est difficile de trouver objet tangible où s’accrocher : la spirale de ses paroles emporte tout sur son passage, charrie anecdotes, joue volontiers de différents registres, alterne sa puissance verbale, ne s’essouffle pas. Physique que d’interroger Claude Seignolle : venir avec des questions précises, s’essouffler à les poser et reposer, se voir repartir avec elles, sans réponses, mais avec des réponses à d’autres questions, celles que vous ne lui avez pas posées ! Alors certains seront déçus : n’avoir pas rencontré l’écrivain qui commente son œuvre mais un homme  » fougueux  » qui commente sa vie dont l’écriture fait partie. Alors certains seront fascinés d’avoir découvert un caractère humain derrière le nom.  »

 

Claire Panier et son passage en Seignollerie :

 » […] Finalement, la porte s’efface et l’auteur de l’Isabelle m’interpelle en ne m’accordant que le temps d’une bise :  » Entrez, attention !  » Je me fige, interdite : quoi, attention ? mais non rien. Il ferme vite la porte sur nous à cause d’un voisin qui passe sur le pallier, et me montre le chemin. Effectivement : Attention. Attention au chemin de tapis rougeoyants qui cachent des marches traîtresses, juste hautes des petits centimètres qui suffisent à ce que vous vous rompiez les os. Une qui monte, une qui descend, espacées d’un pas ou deux seulement. Le couloir est tassé, court et étroit, tapissés de livres et de bricbrocs. J’avais pourtant lu le compte rendu d’Otrante, et d’autres aussi, mais je suis incapable de bouger. C’est  » comme dans les livres !  » Et des livres, il y en a partout, mais ce qui m’assaille d’abord, ce sont les visages, tous ces visages de pierre qui surveillent les lie. Claude Seignolle parle, vite, et m’entraîne dans une visite des lieux qui me paraît trop rapide, trop hachée. Il m’interroge, me demande ce que j’en pense.[…] Le tourbillon m’emporte, couloir de droite, première alcôve : les livres[…] Une caverne feutrée dans laquelle je fus accueillie chaleureusement par Claude Seignolle, mais pas par ses murmures d’hier et d’avant hier. Une ambiance toute FANTASTIQUE, donc ce lundi 30 octobre 2000, qui me permettra de relire les contes et nouvelles du Seigneur de Sologne, passeur des siècles et bientôt du millénaire, avec un regain de frissons[…] »