J’ai voulu connaître ce personnage qui m’avait autant impressionné – au demi siècle de ma vie – que l’avait fait Jean Ray quand j’avais dix-sept ans. Une correspondance se noua et une amitié griffue, pleine de flammes et de ténèbres. Jean Ray m’impressionnait par les prestiges de son inspiration brumeuse et le rayonnement d’une aventureuse personnalité.
Claude Seignolle faisait naître en moi une sourde terreur, par une sorte d’immobilité menaçante, par un mystère autour de sa personne, par la sensation qu’il constituait le point de rencontre d’un réseau de sortilèges, de malédictions et de conjurations qui n’étaient pas seulement de la littérature, mais une science appliquée, un savoir aussi riche que la Somme du Grand-Albert. Jean Ray était un bourlingueur dont l’imagination parcourait le monde. Claude Seignolle était un paysan madré, sorte d’araignée au centre de sa toile, bien au chaud dans son poil visqueux.
Je l’ai rencontré depuis et j’ai appris à le connaître. Il est sympatique, redoutablement. Volontiers rieur. Il pourrait être achéologue, professeur, éleveur d’abeilles, guérisseur. Il a le physique rassurant. Mais dans son regard brille une flamme qui ne peut être que le reflet du grand brasier.
Depuis des années, Claude Seignolle – par l’innocent détour et sous couvert du folklore – collectionne les diableries comme d’autres les papillons. Au contact de la terre de Sologne, toute gonflée des bouillonnements de la légende, il sent, il vit le monde des croyances paysannes, des craintes toujours présentes, des hantises inavouées. Il en est devenu en quelque sorte le conservateur le plus qualifié et personne, dans la littérature d’aujourd’hui, ne peut lui disputer cette place d’initié, au carrefour de l’éthnographie et du subconscient. Au coeur de ces magies qui poussent leurs racines bien loin dans le passée, il respire (comme il le dit lui-même) « les âcres senteurs qui émanent des perpétuelles flambées de l’imagination populaire ».
Claude Seignolle, pensif et patient en son antre de Robinson du temps de la brocante (1974), Revue Nostra
Son oeuvre littéraire, d’une haute et rare qualité, est née d’une longue fermentation de l’âme au contact des sorciers, de rebouteux, des jeteurs de sorts, des loups-garous, ou encore des lavandières de la nuit. Il a lu les vieux grimoires ; interprété les présages, connu les secrets de l’envoûtement. Il a guetté les revenants derrière un mur de cimetière, s’est perdu dans les marécages maudits, a pénétré la nuit, lumignon au poing, dans les étables malèficiées où on le mandait pour Dieu sait quels exorcismes.
Cet observateur passionné et lucide de l’angoisse des hommes, au contact de l’étrange et de l’inexplicable, ne demeure pas longtemps insensible à la peur qu’il sent naître et grandir autour de lui. Les minces nappes de ce brouillard mental qui sourd de la terre, des êtres et des choses, viennent peu à peu s’épaissir autour du conteur qui ne les a point conçues. Le voilà pris dans les enroulements reptiliens de cette opacité redoutable. Comme l’enlisé, il veut crier, retrouver l’air libre en tendant désespérément le bras. Trop tard !… Il ne s’appartient plus. Il se perd et nous avec lui !
Ce portrait de Claude Seignolle demeurait incomplet si un mot n’était dit de cette sensualité quasi primitive qui donne à ses personnages leur véritable dimension humaine au coeur même de l’aventure fantastique. Un feu venu du fond des âges échauffe les reins des hommes aux gestes lourds ; une odeur de foin, de feuilles et de peau caressée par le soleil monte du corsage et des bras nus des filles cherchant l’amour et le fuyant dans le même temps ; l’herbe, la rivière, les souches brûlées, le chien mouillé, le troupeau qui passe ajoutent un bouquet particulier aux senteurs paysannes. Mais les plaisirs champêtres sont dans l’ombre des buissons. La porte de la grange s’est ouverte brusquement sur un courant d’air galcé. Une petite flamme a couru au ras du chemin.
Un grand cri sur la lande. Des yeux verts qui trouvent la nuit. Est-ce lui ? A n’en pas douter… Ma peau se hérisse… Sur ma main, une patte griffue…