PREMIÈRE PARTIE
Comment fut trouvé le pantacle qui déclencha la réminiscence d’une histoire ancienne et sinistre.
I
J’avais commencé à déblayer avec ardeur une grotte camouflée qui, selon mes présomptions, devait me livrer des vestiges d’un étrange culte préceltique dont je connaissais déjà divers éléments, à vrai dire assez disparates. L’accès de cette grotte se trouvait compromis par un éboulis de pierres et une jungle de ronces. J’avais d’ailleurs calculé qu’une semaine de labeur me serait nécessaire pour dégager ces obstacles. Je partis le matin, sac au dos, pour ne revenir qu’une fois la nuit tombée, exténué et les mains en sang.
C’est alors qu’un soir, en rentrant, je trouvai chez moi un message urgent de Claude Seignolle. Le texte disait laconiquement Chez moi vendredi soir. Que me voulait donc Claude Seignolle ? Il n’est pas homme à demander un voyage de cinq cents kilomètres pour m’inviter à déjeuner, et il connaît mon aversion d’envisager un séjour à Paris, même bref. Qu’avait-il découvert pour solliciter ma présence d’une manière aussi impérative, aussi inattendue ?
Était-il en danger ? Non, je chassai aussitôt cette idée de mon esprit : Maître Claude ne craint ni l’envoûtement ni les fluides maléfiques, et encore moins les menaces physiques. Il est doté des armes nécessaires pour parer aux coups les plus sournois comme aux plus violents. Une compétence liée à une longue expérience lui valent cette prérogative. Oh oui ! Je lui fais confiance pour cela : un vieux renard connaît l’odeur du fusil et sait tromper le molosse lancé à ses trousses ou bien il se fait loup et mord.
Avait-il besoin de ma collaboration pour quelque mystérieuse investigation ? Flairait-il une piste trop périlleuse à suivre pour un homme seul ? Même un homme redoutable et redouté ? Peut-être une piste qui se prolonge en ramifications et qui demande une exploration à plusieurs ? S’agissait-il d’une chasse au sorcier dans quelque campagne retirée ?
Mais il était inutile de me perdre en conjectures : il fallait y aller, et tout de suite ! Nous étions jeudi… Je n’hésitai même pas, et pourtant, je dois avouer que j’abandonnais mes fouilles à contrecœur. Il ne me vint pas l’idée de décliner cette invitation pressante, car nous nous étions promis fraternellement de nous épauler l’un l’autre en cas de besoin. Je remis donc mes recherches à plus tard, et je partis pour Paris.
Claude Seignolle, conteur et folkloriste, n’est pas un homme commun. Ses patientes recherches sur la magie des campagnes et les traditions populaires ont imprégné son personnage même. À l’écoute des secrets du peuple, il en est devenu le dépositaire sacré, le légataire de la tradition. Lui-même est devenu magicien car, pour faire raconter aux vieux du terroir ce qu’ils ne confient qu’à leurs descendants, et encore d’une manière très nuancée, il faut un art de communication bien consommé et bien chaleureux.
Nous nous sommes rencontrés pour la première fois dans ce hameau perdu des Vosges où nous étions allés, tous deux par des voies différentes, dans le but d’enquêter sur un événement presque incroyable dont nous avions eu connaissance, chacun de notre côté. Je tiens à cacher les sources de mon information, mais j’ignore comment Claude Seignolle fut branché sur la piste. Toujours est-il que nous nous sommes retrouvés en cet endroit qui est maintenant maudit et le restera désormais, car il en est ainsi des lieux qui portent l’empreinte de la pire malédiction. C’est là que nous avons pu voir de nos propres yeux, ce qu’il est presque impossible de croire, ce qui ne devrait pas exister, ce qui ne figure nulle part dans les conventions de notre monde palpable… Pour parler sans détours, je dis que, dans ce hameau isolé et jusque-là sans histoire, nous avons été confronté avec la réalité de ce qu’il est convenu d’appeler le « surnaturel » : l’un en face de l’autre, sans d’abord nous voir, nous étions figés devant cette preuve tangible qui ne pouvait laisser indifférent nul témoin… Le « surnaturel » dans tous ses états !
Mais je ne veux pas en dire davantage sur cette sinistre affaire. Claude Seignolle non plus, d’ailleurs. Et personne d’autre. Le terrible secret a lié ses témoins en une association du silence. Nous portons une bien lourde responsabilité, celle de ne pas ébruiter l’affaire. Aucun de nous ne peut cependant l’oublier. Ce genre de souvenir ne tolère pas l’oubli : il est de ceux qui se gravent au plus profond de soi, comme une brûlure indélébile…
Je partis donc pour Paris, répondant à l’appel de mon complice. Claude Seignolle me reçut avec sa verve coutumière. Il m’expliqua immédiatement le motif de son pressant appel :
— Dans une cave de la rue Grenéta se trouve un document ancien qui vous concerne, du moins qui parle de votre famille, me dit-il. J’ai pensé que cela vous intéresserait de le récupérer au plus vite…
— Pour sûr ! Les archives de ma famille sont incomplètes et parfois obscures. Une nouvelle acquisition me permettra peut-être d’assembler une partie du puzzle et de faire la lumière sur le mystère de nos origines…
— Vos origines sont-elles donc si particulières ?
— J’en suis certain, et je suis prêt à tout entreprendre pour en savoir plus long, et à n’importe quel prix… Dites-moi, comment avez-vous découvert ce manuscrit providentiel ?
— Par un curieux hasard. Voici une dizaine d’années, lors de mes pérégrinations en Sologne, j’ai appris l’existence d’un très ancien grimoire que détenait un sorcier de la région de Salbris.
— Et plus les grimoires sont anciens, plus ils sont intéressants, n’est-il pas vrai ?
— En effet. Vous savez que la diffusion des grimoires commença au XVIIe siècle, lorsque certains d’entre eux tombèrent aux mains d’imprimeurs qui flairèrent là une source de profit. La maison Beringos frères lança sur le marché une certaine quantité de grimoires magiques, cela au début de la Révolution française. De nombreux opuscules furent imprimés par la suite et répandus dans le public, notamment au XIXe siècle qui vit une renaissance de l’occultisme. Bien peu de ces grimoires sont authentiques, vous vous en doutez bien. Les éditeurs en imaginèrent de toutes pièces, et le colportage des petits livres de magie, tous mélangés, rapiécés, révisés, augmentés, ne connut plus de mesure. Ils atteignent aujourd’hui des prix fabuleux, mais ils n’ont aucune valeur. Les recueils de formules qui sont antérieurs au XVIIe siècle et qui ont été écrits de la main même des sorciers sont, par contre, beaucoup plus précieux : certains contiennent de véritables recettes miracles, d’autres dévoilent de dangereux procédés de magie noire. Le grimoire que je recherche est certainement très ancien ; il est composé de quelques feuilles de parchemin vierge sur lesquelles on peut à peine déchiffrer une écriture pâlie par le temps…
— Écrit avec du sang ?
— L’encre est brune : c’est donc vraisemblablement du sang. Ce grimoire me parut intéressant, du moins par les descriptions qui me furent faites, et je décidai de l’acquérir. Mais lorsque j’arrivai chez son dépositaire, je m’aperçus avec dépit qu’un autre amateur m’avait devancé ! Je pus savoir, après une longue enquête qui me mena de village en village, qu’un singulier personnage écumait toute la province. Il terrorisait les braves gens et payait à prix d’or les vieux livres de magie. Il avait une façon toute particulière de faire parler les vieilles personnes réticentes : je crois qu’il procédait par hypnose. Je n’ai jamais rencontré ce curieux individu, mais j’appris qu’il n’était pas antiquaire, qu’il s’intéressait beaucoup à la magie noire, qu’il habitait Paris… On ne me cacha pas son nom : il s’appelait Amane…
— Comment dites-vous ?
— Amane.
— Amane ! Comment est-ce possible ?
— Ce nom bizarre vous dit quelque chose ?
— Oh oui ! Je détiens un document qui parle des Amane comme d’ennemis jurés et héréditaires de ma famille ! Amane est le nom de l’un des chefs
des anges déchus cités dans le livre d’Hénoch ! Je n’en sais pas davantage… Je ne sais pas pourquoi ces gens sont hostiles aux miens…
— Ah ! Cela expliquerait déjà la présence de ce document vous concernant parmi les affaires de ce sinistre individu ! Mais laissez-moi finir mon histoire : vous allez comprendre. J’appris, il y a quelques jours, que notre homme venait de mourir dans son appartement de la rue Grenéta. Son fils, commerçant en province, vint à Paris pour l’enterrer et entrer en possession de son héritage. Le logement fut immédiatement loué et vidé de tout ce qui appartenait au défunt. Je me présentai au moment du déménagement, et vous devinez pour quelle raison : je voulais proposer au fils Amane de racheter la bibliothèque de son père. J’étais plutôt optimiste, car j’avais également appris que le fils ne ressemblait guère au père et ne s’intéressait pas à la magie. Le fils Amane était absent au moment où j’entrai dans l’appartement. Deux ouvriers qui remplissaient des caisses me dirent que je n’avais qu’à l’attendre ; ils me laissèrent dans l’entrée sans plus s’occuper de moi. J’eus alors la curiosité d’ouvrir un coffre : c’est là que je vis le document concernant votre famille. Il se présente sous forme de parchemin roulé ; le sceau a été arraché.
— L’avez-vous lu ?
— Je n’en ai pas eu le temps, car le fils Amane arriva au moment où je le déroulai. Je me présentai avant de faire ma proposition. Amane secoua la tête et me dit que la vente des livres allait contre la volonté de son père ; il les ferait donc reléguer dans la cave de l’immeuble, puisque lui-même ne tenait pas à les emmener. Je fis une offre généreuse, mais le fils Amane resta inflexible…
— L’imbécile !
— Ne vous méprenez pas : même mort, son père l’épouvante encore ! Le fils est certainement cupide, car j’ai vu une lueur s’allumer dans ses yeux lorsque je lui offris une somme importante en échange de quelques vieux livres poussiéreux et moisis ! Mais il est davantage superstitieux que cupide ! Aussi ai-je décidé de me passer de son autorisation : j’entends récupérer mon grimoire !
— Je vous comprends… Il serait dommage de laisser pourrir dans une cave un si précieux manuscrit ! Pourrons-nous pénétrer sans trop de difficulté dans cet antre fabuleux ?
— Dois-je en déduire que vous êtes de l’expédition ?
— Voyons, vous avez aiguisé ma curiosité au sujet de ce document… Et puis, je vous l’ai dit : je ferais n’importe quoi pour m’approprier les documents concernant ma famille…
— Bien. L’accès de la cave est facile. Il suffit de pousser une porte et de descendre silencieusement les marches. Le concierge et sa femme sont des gens âgés ; je sais qu’ils se mettent au lit de bonne heure. Pas de chien, pas de verrou. Nous n’avons rien à craindre du côté du fils, Amane, car il est bien vite retourné dans sa province.
— Mais l’entrée de la cave d’Amane ?
— Aucun problème. Il n’y a même pas de porte à forcer ; une trappe ouvre sur une sorte d’oubliette dans laquelle ont été descendues les caisses. Aucune précaution n’a été prise pour empêcher un vol. Mais qui se donnerait la peine de descendre dans un réduit d’aspect peu engageant pour pren
dre de vieux livres, hein ? Une échelle est posée contre le mur du couloir, et il suffit de s’en servir…
— Vous feriez un bon détective !
— Bigre, c’est que je me suis fait passer pour brocanteur afin d’apprendre tous ces renseignements et explorer la cave ! D’ailleurs, mon métier ressemble assez à celui de brocanteur, non ? Pourrais-je faire autrement pour glaner parmi les braves gens des campagnes ces étranges et véridiques histoires que je raconte dans mes livres ?
— Vous avez raison, et j’admire votre faculté de pouvoir délier les langues, car je sais que les anecdotes populaires ne sortent guère du cercle familial et sont généralement transmises de père en fils dans le plus grand secret… Quand partons-nous ?
Claude Seignolle regarda sa montre. La soirée était à peine entamée.
— Nous avons le temps, dit-il. Nous partirons vers minuit, si vous le voulez bien. J’ai prévu deux bonnes torches électriques et je vais vous prêter de vieux vêtements, car nous risquons de nous salir dans ce trou. N’oubliez pas que nous aurons à déplacer de lourdes caisses…
— Bah ! L’enjeu vaut une dépense musculaire ! Cette aventure me rappelle d’ailleurs une histoire que m’a racontée mon ami célibataire.
— Hubert ?
— Oui, il est vrai que vous le connaissez aussi bien que moi. Hubert avait dans le fond de sa cave un immense tableau qu’il n’aurait jamais pu accrocher dans son petit appartement. Il ne se souvenait plus du motif de la toile, l’ayant rapidement regardée et trouvée sans intérêt. Comme sa cave était un minuscule réduit, il empila devant le tableau, dûment emballé, des caisses, des cartons, une vieille cuisinière, et il y entreposa même son charbon. Le tableau n’était plus visible. Or, un jour, Hubert retrouva son cadenas forcé et sa cave sens dessus dessous ; même le tas de charbon avait été remué. Le cadre était toujours là, dépouillé de son emballage – un cadre en stuc doré, sans valeur – mais la toile avait été découpée. Rien d’autre ne manquait, pas même une bouteille de vin d’Alsace. Intrigué, Hubert alla trouver sa propriétaire, mais celle-ci lui assura que le tableau qui lui venait de ses parents, n’avait absolument aucune valeur. Mais alors, pourquoi s’était-on donné tant de mal pour le subtiliser ? Et encore fallait-il savoir qu’un tableau se trouvait au fond de cette cave !
— Curieux…
— Les précédents locataires étaient à la rigueur du genre à dérober une caisse de vin, mais certainement pas un tableau ! Alors qui ! S’agissait-il d’une toile de maître ? Comment le voleur l’avait-il déniché ? Et ce tableau devait être bien précieux pour celui qui se donna la peine de déblayer un tas de charbon et tout un bric-à-brac poussiéreux, difficile à déplacer ! Mon ami n’en sait pas davantage, mais il se mord les doigts de ne pas avoir examiné ce tableau mystérieux avec un peu plus d’attention ! Lui, un amateur d’art !
— Peut-être avait-il dans sa cave une toile qui ferait honneur au Louvre ? Quel en était le motif ? L’a-t-il regardée ?
— Très vaguement. Le tableau représentait un paysage baigné de clair de lune, le tout faussement romantique, et absolument quelconque. Connaissant Hubert, je pense qu’il aurait reconnu un Rembrandt ou un Bruegel !
— Bien sûr, mais les peintures réservent parfois des surprises que seuls les spécialistes peuvent déceler. Certaines toiles célèbres ont été découvertes sous un barbouillage ignoble !
— C’est vrai. Les plus rares trouvailles se font souvent là où on les cherche le moins !
Nous parlâmes ensuite de maisons hantées, de sorcellerie et de sabbat. Claude Seignolle a d’effrayantes histoires à raconter sur ces sujets qui lui sont familiers. Vers minuit, enfin, et après nous être convenablement restaurés en vue de l’effort physique qu’allait exiger de nous notre escapade, nous partîmes en expédition.
La rue Grenéta était déserte, bien que les lumières de quelques troquets fussent encore allumées, et les comptoirs assiégés par des buveurs impénitents. Mon compagnon m’entraîna sous un porche obscur en me faisant signe d’avancer avec précaution. Il ne fallait pas réveiller le concierge de l’immeuble, sinon l’affaire pouvait tourner à notre déconvenue, et nous risquions d’être pris pour de vulgaires cambrioleurs ! Allez donc expliquer à la police que vous êtes venu récupérer un grimoire et qu’il serait dommage de le laisser pourrir dans une cave !
La porte de la cave se trouvait juste en face de la loge du concierge ; il nous fallut un quart d’heure pour l’ouvrir sans la faire grincer. L’entrée était basse, l’escalier humide et glissant. Du sous-sol montait un air frais et pourtant corrompu, propre à toutes les caves profondes. Je descendis avec un peu d’appréhension les marches suintantes, attachant mes pas à ceux de Claude Seignolle qui avançait prudemment pour me conduire devant la trappe. Celle-ci se trouvait dissimulée derrière une assise de près d’un mètre d’épaisseur contre laquelle se heurtait l’étroit couloir avant de faire un brusque coude. La pierre du mur était tout effritée et blanchie par les âges. Il fallait assurément connaître l’existence de la trappe pour en remarquer l’emplacement.
— Éclairez-moi, dit Claude Seignolle, je vais essayer de l’ouvrir…
— Entendu.
Je braquai ma torche vers la trappe. Celle-ci bascula aisément et fut rabattue contre le mur. Nous dirigeâmes le rayon de nos torches vers le trou béant : les caisses se trouvaient bien là, empilées dans une fosse de deux mètres cinquante de profondeur. J’allai chercher l’échelle apposée le long du couloir d’arrivée, je la fis glisser dans le trou.
— Allons-y ! dis-je, et je m’apprêtai à descendre.
— Attendez ! me lança mon compagnon d’une voix rauque.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demandai-je, étonné. Entendez-vous quelqu’un venir ?
Claude Seignolle secoua la tête, mais me fit signe de rester immobile. Je regardai autour de nous : partout le silence et l’obscurité ; pas même un rat courant furtivement le long des murs !
— Ne descendez pas, je pressens un danger…, dit-il enfin.
— Un danger ?
Je me grattai la nuque en regardant mon compagnon avec surprise. Avait-il peur ? Voulait-il renoncer à notre délicate infraction ? Il n’était pourtant pas homme à reculer ; encore moins à céder devant la peur.
— Il y a un danger, croyez-moi, dit-il calmement, une menace rôde autour de cette fosse…
— Je ne vois rien qui puisse faire avorter notre tentative…
— Apparemment non, rien de palpable… Amane est mort, mais il continue à être dangereux…
— Était-il donc si redoutable ?
— Oui ; vous ne pouvez même pas imaginer à quel point ses pouvoirs étaient étendus ! Il avait la réputation d’un dangereux sorcier et n’ignorait aucune pratique de magie noire…
— Et alors ?
— Alors ? C’est bien pour cette raison que je flaire un danger…
— Mais qu’avons-nous à craindre ?
— La malédiction d’Amane !
— Sa malédiction ? Bon sang… Je ne voudrais pas que mon sort soit celui des profanateurs de la tombe de Tout Ankh Amon !
— Justement : la magie dont se servait Amane est issue de la magie égyptienne. Aussi devons-nous prendre certaines précautions…
— Pourrons-nous violer cet endroit maudit sans être frappés par la consécration maléfique de notre homme ?
— Oui, je connais le rituel qui peut, sinon anéantir, du moins détourner la malédiction. Je le tiens d’un vieux Cévenol à qui je sauvai naguère la vie…
— Ah ! J’ai lu dans les archives de ma famille que mes plus lointains ancêtres disposaient d’un pantacle qui, lorsqu’on le portait, protégeait de tout effet néfaste et rendait inoffensifs les fluides maléfiques. Ce précieux objet a malheureusement disparu…
— C’est dommage pour vous. J’ai entendu dire qu’il était possible à chacun de se fabriquer un pantacle protecteur. Il suffirait de l’imprégner de suffisamment de volonté pour le rendre efficace. Car la volonté est par excellence l’instrument de protection, comme vous le savez. Vous pouvez, par exemple, ramasser une pierre quelconque et la placer sur un meuble, assez loin de votre lit. Si vous vous levez toutes les nuits, pendant un an et toujours à la même heure, pour retourner la pierre, vous obtiendrez alors un pantacle protecteur de grande efficacité… Mais je ne connais personne qui accepterait de se lever toutes les nuits pendant un an, histoire d’aller retourner un caillou posé sur le buffet de la cuisine ! Bon, mettons-nous au travail !
Claude Seignolle me fit signe de reculer. Ensuite, avec un morceau de craie qu’il sortit de sa poche, il traça sur le sol des signes bizarres qui m’apparurent comme des caractères hébraïques. Puis il se livra à un étrange cérémonial de gestes et d’incantations issus de la plus secrète théurgie. Enfin, après un long moment de tension soudaine accumulée autour de la fosse, il s’approcha de l’échelle pour descendre les premiers barreaux…
— Il vaut mieux que je passe le premier, dit-il, je vais m’assurer de l’efficacité de mes opérations…
Arrivé au fond du trou, il resta un instant immobile et silencieux, humant l’atmosphère environnante.
Le cœur battant, je le regardai faire. Mais il ne se passa rien d’autre.
— Vous pouvez venir, me dit-il finalement, tout danger est écarté : la barrière de notre ami Amane n’a pas résisté à la puissance de nos investigations. Mais gardons-nous d’abuser de son hospitalité forcée !
— Dieu merci, vous avez flairé la chose ! Je me serais jeté dans la gueule du loup comme un benêt !
— Vous êtes encore bien jeune, et inexpérimenté. Mais la précipitation peut être fatale ; prenez toujours vos précautions…
— Merci pour la leçon !
— J’ai bien failli me laisser prendre aussi. Il est difficile de sentir immédiatement si un lieu est maudit ou non. La malédiction n’est guère décelable par le profane ; il ressent tout au plus un malaise, une impression de gêne.
» Il faut en effet une longue expérience pour déceler un sortilège. Combien d’inconscients foulent des lieux interdits sans même s’en rendre compte ? Ils payent par la suite les conséquences parfois funestes de leur acte, attribuant au destin les malheurs qu’une sombre malédiction fait peser sur eux ! En Angleterre, le passant est prévenu par cet avertissement, placardé devant l’entrée des sanctuaires dangereux : Quiconque passe outre sera poursuivi. Allez donc flairer de près les ruines de certaine abbaye située en forêt de Fontainebleau ! Allez donc transgresser le barrage établi par un cercle magique ! Mais le temps nous presse. Voulez-vous m’aider à descendre ces caisses ? Quand nous aurons fini, nous pourrons nous établir comme déménageurs…
— De vieux grimoires, bien entendu !
Nous nous mîmes à déplacer les lourdes caisses empilées les unes sur les autres dans l’étroit réduit. La bonne se trouvait évidemment tout en dessous. Claude Seignolle la reconnut immédiatement :
— La voilà ! Je me souviens des ferrures. Tous les livres de feu Amane se croient en sécurité là-dedans ! gloussa-t-il avec un petit rire vainqueur.
La caisse n’était pas cadenassée, et nous pûmes l’ouvrir sans trop de difficultés. Quelques instants plus tard, nous tenions ce que nous étions venus cambrioler dans cette fosse maudite. Mais il nous fallait encore remettre les caisses telles que nous les avions trouvées.
Il se passa alors un incident qui corsa notre tentative. Ce fut tellement rapide que nous n’eûmes le temps de réagir ni l’un ni l’autre. Une des caisses était mal assujettie au-dessus des autres ; elle bascula et menaça de tomber. Je me précipitai pour la retenir, mais la caisse était lourde et je fus violemment projeté en arrière en la recevant dans mes bras. Je heurtai le mur avec une telle force que je crus me casser en morceaux. Le choc me fit repartir en avant, et j’allai m’aplatir contre un autre côté de la fosse. En embrassant bien malgré moi le mur salpêtré, j’entendis comme un déclic, suivi d’un glissement sourd : un panneau de pierre venait de s’avancer de dix centimètres au moins sur la surface du mur.
— Un passage secret ! m’écriai-je en massant mes côtes.
— Sacré Dié, qui aurait pensé cela !
— J’ai probablement déclenché le mécanisme en heurtant le mur…
— Sans nul doute. Essayons d’enlever la pierre.
Elle ne nous demanda pas beaucoup d’efforts, car elle n’était pas plus épaisse que les dix centimètres apparents et elle pivota aussi aisément qu’un battant de placard bien graissé. Nous nous trouvions devant une ouverture suffisamment large pour laisser passer un homme.
Claude Seignolle dirigea le faisceau de sa torche vers les profondeurs de la cache.
— Je m’attendais à un escalier caché reliant l’appartement d’Amane à un souterrain conduisant aux égouts, mais je ne vois nul passage. Peut-être s’agit-il du laboratoire secret du sieur Amane… Allons visiter cet antre de goétien…
Il se glissa dans l’étroite ouverture pendant que je l’éclairai, puis je le suivis. Nous arrivâmes dans une grande salle voûtée, d’aspect médiéval.
— Incroyable ! s’exclama mon compagnon. Amane devait se réfugier ici pour préparer ses opérations de magie noire. Nous sommes vraiment dans l’antre du monstre… Regardez bien où vous posez les pieds !…
Nous explorâmes la chambre souterraine, chacun de notre côté. J’avançai avec circonspection, et je fis bien, car je n’avais pas fait dix mètres que je me trouvai devant un trou noir s’ouvrant dans un angle du repaire.
J’hésitai avant de hasarder mon regard vers la ténébreuse ouverture. Une sorte de sixième sens me dictait de n’en rien faire.
« Quelle abomination vais-je découvrir dans ce puits de mauvais augure ? pensai-je, quelle monstrueuse entité sommeille dans ces profondeurs ? »
Je me souvins de certains récits de Lovecraft. Et si le chaos rampant se trouvait tapi au fond d’un abîme sans nom ?…
Le trou était long de trois mètres environ, et large de cinquante centimètres. La curiosité l’emporta. M’approchant jusqu’au bord, j’y plongeai mon regard.
Et je reculai aussitôt, saisi par l’épouvante.
Dans le trou profond, creusé à même le roc, je venais de voir, flottant dans un liquide translucide, verdâtre et phosphorescent, deux cadavres au visage tourné vers le haut.
Le premier de ces cadavres avait le visage parfaitement semblable à celui de Claude Seignolle, et le deuxième… le deuxième me ressemblait étrangement… Une curieuse excitation s’empara de moi : il m’était donné de me voir moi-même, je jouissais d’un inhabituel privilège…
Et je m’approchai de nouveau du gouffre. Je voulais tant me voir !
Et l’eau du fond était si claire, si transparente, elle paraissait si fraîche…
Et les deux cadavres, libérés des lois de la pesanteur, se mouvaient dans leur bain avec grâce, comme deux cygnes sur un lac argenté… Oui, comme deux cygnes immaculés sur un lac argenté, et avec autant d’élégance… Et ce ballet des corps dans cet élément troublant me fascinait, me fascinait…
Je m’approchai encore. Là, tout en bas, le visage rigide de Claude Seignolle fixait son regard brûlant sur le mien. Je devinais son épaisse moustache ourlée de sel, et son crâne brillait.
Ses joues étaient blêmes, ses lèvres pincées ; ses cheveux lui faisaient une auréole mouvante.
Mais l’autre, l’autre cadavre me regardait plus intensément encore…
C’était moi, oui, je ne pouvais plus en douter, c’était moi qui flottais si gracieusement, les tempes baignées par cette eau limpide…
Et c’était moi qui me regardais, et je me regardais moi-même…
Non, il n’y avait pas d’illusion possible : ce ne pouvait être mon reflet qui se mirait au fond de ce gouffre attirant…
L’eau clapotait délicieusement en vaguelettes ondoyantes. Je me penchai. Le rocher était taillé grossièrement, formant des aspérités qui dessinaient des formes fantastiques au-dessus du lumineux liquide. Un jeu d’ombre m’accaparait doucement, et des teintes fluorescentes s’animaient en un mouvement irrésistible, comme un jeu de vagues aériennes. Il me prit une subite envie de rejoindre ces corps qui reposaient si voluptueusement sur l’élément léger et enchanteur. Ces corps qui étaient les nôtres…
Je ressentis du dégoût pour ce corps lourd qui était, encore le mien, mais la subtile enveloppe qui nageait avec sérénité m’apparut comme la dernière et ultime réalisation de mon être.
Et je me penchai davantage.
Soudain, je fus brusquement empoigné, tiré en arrière et jeté au sol.
— Détournez-vous ! Détournez-vous, pour l’amour du ciel ! me cria Claude Seignolle.
Il prit dans sa poche un petit sachet en peau, en sortit fébrilement le contenu et éparpilla au-dessus du trou une sorte de poudre blanchâtre. Un bouillonnement se fit entendre au fond du gouffre. Une vapeur dense et chaude s’éleva.
Je protestai d’une voix faible :
— Mais vous n’avez pas vu ? C’était moi, dans ce trou, et vous y étiez aussi ! J’ai bien reconnu nos visages… Vous nous avez tués…
— Malheureux, reprenez vos esprits ! Ce n’était qu’un nouveau piège d’Amane !
— Non, non, je suis sûr…
— Venez voir, maintenant !
Il m’aida à me relever. Je m’approchai du trou, soutenu par mon sauveur qui ne se fiait pas encore à mes réactions. Aussi me tenait-il solidement pendant que je me penchais au-dessus du trou.
Les deux corps flottaient toujours dans cet élément liquide si trompeur, mais ils n’avaient plus nos visages.
Deux têtes de morts me regardaient, deux têtes aux orbites vides, aux joues creuses, deux têtes sans chair ni visage…
— Par exemple ! m’exclamai-je.
— C’est de l’arsenic, me dit Claude Seignolle.
Je le regardai sans comprendre.
— Le phénomène est curieux, et digne d’un sortilège d’Amane, continua-t-il. Un physicien pourrait sans doute vous expliquer comment les images arrivent à se réfléchir sur des objets déterminés, moi non ! Je crois que ces squelettes prennent l’aspect de ceux qui pénètrent dans cet endroit maudit. Maintenant, fuyons d’ici, fuyons avant qu’il ne soit trop tard…
— Oui, allons-nous-en !
Une heure plus tard, sales, exténués, nous étions de retour chez Claude Seignolle. Lui tenait son précieux grimoire, et moi le document concernant ma famille.
Le cœur battant, j’en entrepris la lecture.
Voici ce qu’il disait :
Amane, tu es le fils du légendaire Amane, lieutenant de l’archange Lucifer. Sois attentif, ô fils chéri ! Écoute la voix de tes pères !
Et prends garde…
Ta vengeance doit s’exercer sur une lignée maudite et scélérate. Que ta malédiction accable les Burg à jamais, et que tes sortilèges les exterminent jusqu’au dernier !
Arme ton bras, fils, ne te laisse pas séduire par leurs femmes, ne te laisse pas attendrir par leurs enfants. Noie dans le sang impie l’affront fait à tes pères !
Lorsque le Fils de l’aurore descendit sur la terre pour fonder un nouveau royaume, il trouva les habitants de cette planète se livrant à la guerre, la barbarie et la licence. Certains d’entre eux, dont Burg l’impavide, placèrent leurs bras vigoureux au service de l’Ange, car ces humains obséquieux prétendaient asseoir Lucifer sur le trône de la terre afin de se servir de sa puissance divine pour asservir leurs semblables.
Mais le plus beau des Anges dédaigna ces abjectes créatures de Dieu pour s’enfoncer au cœur de la terre et créer son royaume des ténèbres. Le guerrier du nom de Burg avait réussi à s’octroyer la bonté de Lucifer, et il profita de ses privilèges pour conspirer contre ceux des Anges qui connurent les filles des hommes. Il poussa le Prince à abandonner sur la terre ces Anges, car il était jaloux d’eux et voulait qu’ils deviennent semblables à des mortels. Lucifer forgea pour ce courtisan et quelques autres un pantacle redoutable, en tout point semblable à celui que portaient les Anges, et ces humains infâmes reçurent aussi des pouvoirs qui jamais encore n’avaient été accordés à un être vivant sur la terre.
Ce Burg est un loup, fils divin ! Traque-le partout où il se trouve ! Jadis, il égorgea de sa main vile ton premier ancêtre, l’Ange rayonnant qui avait ravi l’une des femelles de ce pourceau terrien !
Mais cette femme engendra un Amane, et toi aussi, fils, tu ensemenceras une fille de la terre : il faut que se perpétue le nom des Amane !
Vengeance, vengeance ! Ne renie pas ton sang ! Ne laisse jamais vivre un Burg ! Écrase le serpent sous ton talon de dieu !
Songeur, je passai le document à Claude Seignolle qui l’examina avec soin.
— Hum…, dit-il, ce papier ne me paraît pas très ancien… Du siècle dernier, tout au plus. Qu’en pensez-vous ?
— Je suis de votre avis. Il s’agit sans doute de la copie d’un manuscrit plus ancien. Le texte m’apporte cependant bien des éclaircissements, et confirme ce que je supposais déjà…
— Si j’ai bien compris, nous tenons là une missive que les Amane se transmettaient de père en fils afin de garder vivace la haine contre votre famille.
— Exactement.
— Les vôtres étaient-ils au courant de cette menace constante – je dis constante, puisque les Amane existent toujours, et puisque nous avons trouvé ce document parmi les affaires de l’un d’entre eux ?
— Oui, les archives des Burg sont claires à ce sujet, et c’est pour cela que j’ai sursauté quand vous avez prononcé le nom d’Amane devant moi !
— Pourtant, vous ne saviez rien de notre goétien…
— À vrai dire, je ne me suis jamais soucié de cette menace ancestrale… J’ignorais même l’existence d’une génération actuelle de mes féroces ennemis héréditaires !
— Vous voilà averti. Mais il me semble que le défunt Amane, auquel appartenait ce document virulent, aurait dû chercher à vous supprimer pour obéir aux commandements de ses pères, non ?
— Peut-être est-il mort avant de mettre son sinistre projet à exécution… Qui sait ? Mes parents, d’ailleurs, sont morts dans des circonstances mystérieuses… Je me demande si… Oui, plus je réfléchis, plus je me demande si… L’accident dans lequel ils ont péri tous les deux n’a jamais été nettement expliqué… Mon père était un homme paisible, nullement préoccupé de magie.
— Vous n’êtes donc pas occultistes de pères en fils ?
— Nullement. La tradition seule se transmet. Beaucoup de mes ancêtres n’eurent ni le goût ni la connaissance des sciences cachées. Notre éducation est avant tout philosophique, et nous ne sommes pas soumis à une hérédité inéluctable… Non, nous gardons le libre arbitre. Je suis d’ailleurs fier de vous affirmer que je reste maître de ma destinée…
— Mais… Ce pouvoir mystérieux dont parle le document ?
— Ce pouvoir est héréditaire et virtuel en chacun de nous. Mais nous devons réveiller cette faculté paranormale et apprendre à nous en servir. Certains ne l’ont jamais fait. Mon père, par exemple…
— Savait-il quelle terrible menace pesait sur sa tête ?
— Je ne sais pas. Il ne s’est jamais préoccupé des documents conservés dans la bibliothèque familiale. Il n’était donc pas censé être au courant.
— Cette bibliothèque doit être fabuleuse ?
— Elle l’est. Elle a été amassée avec amour et patience par des générations de bibliophiles avertis. Cette bibliothèque est inépuisable. Bien des incunables qui dorment sur les rayons depuis des siècles sont recherchés à prix d’or… Et de sang ! Mon enfance fut marquée par les livres : je goûtais avec mon précepteur les longues et studieuses soirées d’hiver que nous passions dans la bibliothèque du manoir, et rien ne venait alors troubler notre lecture, car le cri des chouettes, les craquements sournois ou les plaintes sinistres du vent froid des montagnes nous étaient familiers et agréables.
— Vous voilà à tout jamais débarrassé d’une menace terrible ! Vous pourrez désormais dormir tranquille, vous et vos descendants !
— Que voulez-vous dire ?
— Hé oui ! Le dangereux Amane est mort, son fils ne s’occupe que de ses affaires, et il ignore probablement l’existence de ce document qui est maintenant en votre possession ! Vous êtes à présent délivré d’une malédiction gênante !
— Je n’en suis pas si sûr…
— Bah ! Mais dites donc, Burg, cette histoire est presque incroyable ! Les origines de votre famille seraient donc antérieures à la venue des anges déchus sur la terre ?
— S’il faut en croire ce document, oui ! Nos origines remontent peut-être jusqu’au singe !
— Ha, ha ! Et ce fils Amane à qui j’ai parlé serait le descendant d’un extra-terrestre ?
— Assurément.
— Ça alors !… Mais ce pantacle ?
— Je vous l’ai dit : il n’est plus en notre possession, et c’est bien dommage. Mais là n’est pas le plus important. Écoutez plutôt : « Lorsque le Fils
de l’aurore descendit sur la terre pour fonder un nouveau royaume… » Il est bien dit que le « Fils de l’aurore », c’est-à-dire Lucifer, « descendit sur la terre » et non pas « fut chuté » comme nous apprennent les textes anciens…
— La Bible.
— Oui, la Bible notamment. Ainsi donc, Lucifer se serait exilé de lui-même sans avoir subi l’humiliation d’être précipité par Dieu dans l’abîme ! Toute la théologie est à revoir si ce texte n’est pas une simple fantaisie ! Et il y a autre chose, de plus important encore : « … il trouva les habitants de cette planète se livrant à la guerre, la barbarie et la licence. » Donc, le mal existait sur terre avant l’arrivée du Diable !
— Et nous pouvons en déduire que le Diable n’est pas l’artisan du mal ! Burg, vous avez raté votre vocation ! Mais allez-vous remettre en question le problème déjà insoluble du bien et du mal ?
— Et remettre en question le problème de Dieu, lequel devient le vrai responsable sur terre ! Heu… Non, pas forcément, puisque l’homme est libre de choisir entre le bien ou le mal…
Claude Seignolle se gratta le bout de l’oreille ; il n’aimait guère les discussions abstraites…
— Nous abordons des histoires de séminaire, dit-il en me servant à boire, mais peut-être pourrions-nous nous demander pourquoi Dieu a laissé se développer l’idée du mal ?
— J’entrevois une réponse : l’obscurité est nécessaire pour rehausser la lumière ; ainsi, le mal est nécessaire pour rehausser le bien. Sans le mal, le bien n’existerait même pas ! Dieu a besoin du mal, il a besoin du principe
négatif, et Satan est le vrai pourvoyeur du paradis… Oui, Dieu et le Diable sont complices pour l’éternité !
— Ha ! Burg, mon ami, vous devriez porter une soutane pour laisser au clergé le plaisir de vous excommunier !