… pour se purger des cent corruptions

Que la vie et la mort servent en ses sillons,

Pour refondre et pétrir le cadavre et l’ordure,

Et dans un moule neuf couler la pourriture,

Pour semer dans ses flancs cet effroyable engrais

Et le vomir au ciel en robustes forêts,

Mieux que des grands lions et des aigles superbes

La Nature se sert du peuple obscur des herbes.

Durs ongles du jaguar, crocs aiguisés du loup,

Corbeaux, dont le bec droit s’enfonce comme un clou,

Tenailles des vautours, vous êtes moins terribles

Que cette légion d’ouvriers invisibles !

Mâchant les nerfs, sciant les os gélatineux,

Rongeant des intestins les innombrables nœuds,

Vermine de la mort, ils travaillent à boire

Du hideux sang figé la fange flasque et noire.

Et voici qu’à la place où les os ruinés

Souillaient de leur odeur les champs empoisonnés,

Déborde à flots pressés une herbe drue et verte,

Rougit superbement quelque fleur grande ouverte,

Fleurs et gazons éclos de ces sucs empestés

Que les fossoyeurs nains à la terre ont portés.

Pour épurer le ciel, pour nettoyer le monde,

Et changer en parfums la pourriture immonde,

Pour mêler à la sève ardente de ton sein

D’un corps décomposé l’écoulement malsain,

Pour nourrir de ces chairs liquides et puantes

Un arbre aux bras noueux, aux racines géantes,

Pour dresser dans l’azur son front de fleurs couvert,

Nature, il te suffit d’une mouche ou d’un ver !

Jean Richepin