Rarement fus-je aussi pressé par l’obligation de dresser le portrait d’un artiste tel qu’Abraham Surde. Une impériosité humaniste me pousse à partager l’éblouissante entreprise de ce génie.
Né manchot, il apprit à se servir de ses pieds comme un ectrodactylien droitier userait de sa pince gauche. Pourtant, à défaut d’être apte à quoi que ce soit sinon être montré dans quelques foires de mauvais goût, il avait de grandes aspirations artistiques coïncidant avec la mature modernité de la culture européenne. Ainsi imagina-t-il et tailla-t-il une pointe de charbon à usage absolument unique. Ainsi aussi dessina-t-il un trait sur une feuille blanche. Et ainsi devint-il, après sa mort survenue quelques jours suivant l’accomplissement de son œuvre, un artiste réputé dans le milieu des initiés que certains qualifient –très certainement avec exagération – de peignes-cul.
L’œil exercé pourra remarquer que l’épaisseur du trait est inconstante, que ce trait est incliné à 47°, qu’il mesure 11,3 cm, et qu’il n’est pas du tout droit. Certains initiés y voient des messages cachés prophétiques d’une importance capitale, d’autres béotiens pensent que ce n’est qu’un trait, mais ces derniers sont de la race des aigris, ceux-là même qui prétendraient qu’une bouse de vache livrée par l’unijambiste qui a sauté à cloche-pied d’Inde jusqu’en nos contrées ne vaut pas plus cher qu’un étron de chien…
Je suis au regret de ne pouvoir vous présenter le trait en question, d’une part car je n’en possède aucun droit, d’autre part car sa puissance évocatrice est trop intense. Et pourtant, quel trait !