Je le connaissais depuis mon enfance, ce bon Gontran B. Allez savoir pourquoi il a toujours été fasciné par la couleur rouge, mais ce fut suivant mes conseils qu’il commença sa collection. Des sèves aux sables, des terres aux roches, des tissus aux cheveux, des éclaboussures de sang aux pierres précieuses et semi-précieuses, tout ce qui allait de l’orange au marron en passant par le vermillon, il tentait de l’ajouter à son immense collection.
Je ne l’avais pas oublié malgré des années sans contact, je savais qu’il alimenterait patiemment sa monomanie avec l’assiduité d’un forcené Sisyphesque irrémédiablement lié à son œuvre absurde. Lorsque je lui rendis visite, à son pathétique petit musée privé jonché d‘ébauches de publications destinées aux collèges scientifiques, je jouai l’étonné, l’aimable sarcastique au sourire faussement poli, puis je lui lançai : « Mais tout de même, mon ami, pourquoi continuer cette vanité tandis que le japonais Kaotaka Tamanimoura a déjà engrangé une accumulation cent fois supérieure en qualité et en quantité il y a plus de cinquante ans déjà ! Vous connaissez bien évidement l’œuvre de Kaotaka Tamanimoura, oui, bien évidemment, un éminent spécialiste tel que vous… Vos pièces sont déjà répertoriées et connues de longue date, mais vous persistez car vous agissez pour vous, non pour le monde, n’est-ce pas ? Vous savez que votre labeur n‘a aucun sens mais vous êtes une manière d‘artiste fou et égoïste. Je vous loue pour cela, de mépriser les rires moqueurs de ceux qui ne comprennent pas que l’on peut agir pour et par soi. Vous avez compris que tout est ridicule, que tout est vide de sens et de conséquence, mais vous dominez toute vacuité, vous la survolez tel un bel Icare. »
Et deux jours plus tard la collection était à moi, ce bon vieux Gontran avait disparu dans les flots non loin de sa misère, évitant de faire couler la moindre goutte de son sang à la teinte chérie et honnie. Désormais que toute cette collection de couleurs est mienne, la seule et unique au monde (puisque de Kaotaka Tamanimoura il n’y a jamais eu), je vais continuer ma vie comme naguère, ma cave un peu mieux garnie, mon ennui un peu mieux à l’épreuve des surprises.