« Allons mon bon ami, ne vous laissez pas aller au taedium vitae, il y a tant de choses merveilleuses à admirer.

– Je ne peux plus…

– Accompagnez-moi au sanatorium, j’ai chargé mon arme de cartouches à blanc, nous pourrons effrayer les tuberculeux et les voir avec langueur s’enfuir en s’époumonant et en crachant leur agonie en langoureuses salves gluantes.

– Je ne peux pas, je ne peux plus…

– Alors allons à la maternité, il y a toujours quelque enfant difforme abandonné après s’être libéré de sa geôle matricielle.

– Ah… J’aimerais encore me délecter de ce genre de spectacle, mais je ne peux plus.

– Allons, allons, il y a tant d’idiots à rencontrer, des prétentieux certains que leurs pitoyables connaissances politiques sont supérieures à toutes les autres, des arrivistes qui se vanteront que leurs richesses pécuniaires valent toutes les possessions intellectuelles, des vaniteux qui se prennent pour des Esseintes parce qu’ils lapent du nectar de foin, des fonctionnaires serviles qui ne doutent pas d’être utiles au monde, des instituteurs pareils à des fermiers gavant leurs ânes et leurs moutons d’inepties, des…

– Cessez, je ne peux pas, vous dis-je! Comme un sot j’ai voulu essayer ces menottes réputées inviolables, je me suis malencontreusement attaché au montant du chauffage et je ne sais plus où j’ai perdu les clefs. Je ne peux donc rien faire d’amusant à part… être moi-même le ridicule objet de moqueries.

– Ah, je savais qu’aujourd’hui j’aurai de quoi être heureux. Lorsque l’on aime le pire on a chaque jour de quoi se réjouir. Merci à vous, mon bon ami, de m’avoir distrait de mon propre taedium vitae sans m’obliger à courir les rues.

– Aidez-moi!

– Plaisantez-vous? Si je vous détache vous risquez de fuir, et s’il me prend l’envie, cette nuit, lorsque tout sera enténébré et vidé de sa populace, de jouir d’une magnifique et lamentable avanie, de savourer du pitoyable en chair, en os et en menottes, comment ferai-je? »

 

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