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Étiquette : conte

Avortez par césarienne…

Que fit-elle ? Sans doute encore elle regarda longtemps son ventre enflé ; sans doute, elle le frappa, le meurtrit, le heurta aux angles des meubles comme elle faisait chaque soir. Puis elle descendit, nu-pieds, à la cuisine, ouvrit l’armoire et prit le grand couteau qui sert à couper les viandes. Elle remonta, alluma quatre bougies et s’assit, sur une chaise d’osier tressé, devant sa glace.
    Alors, exaspérée de haine contre cet embryon inconnu et redoutable, le voulant arracher et tuer enfin, le voulant tenir en ses mains, étrangler et jeter au loin, elle pressa la place où remuait cette larve et d’un seul coup de la lame aiguë elle se fendit le ventre.
    Oh ! elle opéra, certes, très vite et très bien, car elle le saisit, cet ennemi qu’elle n’avait pu encore atteindre. Elle le prit par une jambe, l’arracha d’elle et le voulut lancer dans la cendre du foyer. Mais il tenait par des liens qu’elle n’avait pu trancher, et, avant qu’elle eût compris peut-être ce qui lui restait à faire pour se séparer de lui, elle tomba inanimée sur l’enfant noyé dans un flot de sang.

Extrait (ou avorté, pour garder la thématique) de L’enfant (version 1883) de Maufrigneuse, alias Maupassant

Et pour tous ceux qui ont trouvé l’extrait précédent un peu brutal, voilà encore du Maupassant distillé dans l’optimiste nouvelle Garçon, un bock! , de quoi vous rendre un peu plus guilleret :

« Mais rien, mon vieux. Moi je suis commerçant. »
    Il prononça de sa voix toujours égale :
    – Et… ça t’amuse ?
    – Non, mais que veux-tu ? Il faut bien faire quelque chose !
    – Pourquoi ça ?
    – Mais… pour s’occuper.
    – A quoi ça sert-il ? Moi, je ne fais rien, comme tu vois, jamais rien. Quand on n’a pas le sou, je comprends qu’on travaille. Quand on a de quoi vivre, c’est inutile. A quoi bon travailler ? Le fais-tu pour toi ou pour les autres ? Si tu le fais pour toi, c’est que ça t’amuse, alors très bien ; si tu le fais pour les autres, tu n’es qu’un niais.

http://maupassant.free.fr/textes/

Conte de la cocasse

BellaDonna, un conte ridicule

Le pauvre Arturo n’était pas seulement fils d’un danseur de sabotage (comme on dit dans le Bolzano) et d’une tanneuse de peaux de dahuts, il était aussi fort laid, fort puant, fort maigre, fort manchot et fort bigleux. Ses cheveux étaient gras même lorsqu’il rasait son crâne à blanc, ses dents restaient jaunes même lorsqu’il les blanchissait à la chaux, et son haleine putride paraissait insupportable même aux chiens morts. Heureusement pour lui il n’était pas affligé d’un bec-de-lièvre, bien que son museau parut un groin de porc davantage qu’élément anthropoïde.

Alors lorsque Donna, la plus belle jeune femme de la contrée, passa avec son vendeur d’étoffes de père, il ne rêva même pas qu’elle lui accorda un seul regard. Pourtant la destinée suit d’étranges chemins et un matin Dona frappa à la porte de la famille de Arturo. Ce fut lui qui ouvrit, et ce fut de lui qu’elle s’éprit, ce fut à lui qu’elle pria d’accepter la dote qu’offrait son père.

Arturo était un sot, mais il avait pris l’habitude des traquenards comme parfois même peuvent en prendre les mouches coprophages. Il pensa qu’il y avait anguille sous roche, voire vipère sous le banc, voire couleuvre dans la gorge, il pensa que Donna était fille de mauvaise vertu arrivée au point de devoir se lier à un pourceau pour avoir bague au doigt. Il la mena donc à la légendaire Clairière des chastes, que seules les roulures peuvent passer sans se transformer en fleur.

Ah ! Arturo fut bien heureux que Donna ait pris racine, désormais il pourrait l’épouser, cette belle fleur. Il l’arracha donc de terre, la mit dans sa besace et repartit pour chez lui. Mais en route il se rendit compte que son sac était troué et que les pétales se séchaient plus rapidement que prévu. Vite, vite ! Il avala la belle Donna pour ne pas la perdre, et en rentrant chez lui, les yeux grands ouverts et bien noirs, il conta son aventure et sa fortune, et tout le monde attendit que le futur marié eut fini son transit pour récupérer la belle fleur, la parer d’une robe blanche immaculée et la faire passer devant le curé.

*

Si toi aussi tu croises une Belladonna, n’hésite pas, croque-la!

Grim tale

Il était un roi et une reine qui habitaient un beau et grand et majestueux château avec des donjons violets et des douves pleines de lotus roses et des murs peints et parés de riches tapisseries. Mais la reine pleurait souvent car elle n’avait pas de petit prince à offrir pour héritier à son mari. Alors elle pria sa païenne de suivante de convoquer des fées, et ce qui devait passer se passa : une nuée dorée apparut dans l’heureux ciel d’automne et comme d’éthérés carillons carillonnèrent.

Nul besoin de narrer ce qui se trama lors du rassemblement, qu’il suffise de savoir que quelques semaines plus tard les linges de la reine n’étaient plus gluants ni sanglants comme à chaque fin de mois lunaire, et son ventre était de plus en plus bombé.

Mais à un héritier il y avait un prix à payer, et lorsque la reine se libéra de son nouveau-né elle trépassa.

Alors le roi affligé alla l’enterrer malgré que tout le monde, sans pourtant oser le lancer au royal visage, pensait que c’était là mauvaise chose. Puis il cracha sur la fraiche tombe sur laquelle il s’était affairé, puis il battit des mains pour les débarrasser de l’infâme boue dont elles étaient souillées, puis quand il entendit les pleurs de son enfant sous la fraîche terre il se retourna vers le cadavre de sa femme qu’il avait posé contre un arbre et en embrassant ses lèvres mortes lui fit comprendre que le matricide avait été vengé.

*

L’on pourra se délecter de ces curiosités que sont les pleurnicheries souterraines en suivant le sentier planté d’eucalyptus australiens au sein de cette immense forêt sacrée de 0.0001 hectare derrière la rocade sud, à droite après le centre commercial. Vous pourrez à loisir vous reposer en vous asseyant sur les trois dernières pierres du château classé monument historique situé à trois kilomètres de là en empruntant le métropolitain puis la ligne d’omnibus à chevaux vapeurs numéro 3, ou en suivant le quartier d’affaires, la rue Roosevelt et en vous garant à la cité des Milles Merveilles, verrouillez néanmoins soigneusement les portières de vos voitures sans rien laisser sur les sièges.

Nihil verum nisi … mors ?

C’était à l’époque où j’étais cocher, lorsque je faisais la ligne de M. à N. Nous étions sur le point d’arriver à l’auberge où nous devions passer la nuit mais j’étais pris d’une envie pressante et, prétextant la fatigue des chevaux, je m’en allai lever la patte contre un arbre, invitant par la même les passagers à m’imiter si besoin était, mais personne ne descendit, ce qui m’interpella parce qu’il y en a toujours un avec une vessie prête à exploser, à n’importe quel moment du voyage.

Je frappai à la porte mais personne ne répondit. Que je sois foudroyé par le jeune et fougueux dieu de l’orage si exécrable pestilence peut avoir existé ailleurs en ce monde ! Une puanteur acre, émétique, brûlant la gorge et incendiant les nasaux, qui crèverait l’œil valide d’Odin si cette horreur odoriférante était une lance.

Depuis la distance que j’avais prise en m’écroulant par terre dans le fossé je ne pouvais rien discerner dans les ténèbres de la voiture mais il me sembla que rien n’y bougeait. Je profitai de dételer les chevaux, afin de leur épargner de succomber aux miasmes, pour lancer quelques gravillons par la portière, mais là encore rien ne bougea.

J’expliquai la situation à un vieillard qui passait par là. Je le connaissais pour l’avoir croisé quelques fois, c’était un vieil équarrisseur amateur que rien ne devait répugner. Il me toisa d’un œil amorphe et méprisant en caressant les flasques rides de ses joues puis, sans piper mot, il s’engouffra dans l’obscurité étouffante et en tira trois corps.

« Ils sont morts, pour sûrs, asphyxiés.

– Qu’en savez-vous ? lui demandai-je.

– J’en sais que j’en ai vu des cadavres, et ça ç’en est ! Et ces lèvres bleues comme un ciel malade, ces langues gonflées comme celles des canards bouffés par les vers, ces yeux bovins… ils sont morts asphyxiés. »

Le manche de l’éventail d’une jeune voyageuse était pourvu d’un miroir de discrétion, je m’en saisis et le plaçai sous ses narines pour constater qu’effectivement aucune buée ne se forma à sa surface. Pourtant je restai circonspect ; quelque chose que je n’arrivais pas à identifier me faisait douter, et comme le vieux me devina tracassé il suggéra :

« Fourrez-lui un doigt dans l’œil, si ça réagit pas c’est que c’est mort.

– Voilà qui est tout à fait igno… »

Mais je n’eus pas le temps de terminer que le croulant tâta les globes oculaires sans provoquer la moindre réaction.

« Vous voyez, se voulut-il rassurant tout en ne pouvant contrôler les trémolos qui naquirent dans sa gorge. Vous voyez qu’ils sont bien morts. Bon, moi j’y vais, j’ai à faire.

– Une minute. Lui, ce jeune homme, probablement le fiancée de celle-là, j’ai vu sa poitrine se soulever.

– Ca arrive que les dépouilles dansent : les gaz, les nerfs, les muscles qui se relâchent… Ne cherchez pas, ils sont canés.

– Non, vous dis-je.

– Moi j’lui foutrai pas un doigt dans l’derrière.

– Plait-il ?

– Ben, hé… Vous savez, pour être sûr… »

Pourquoi procédai-je à cette abjecte vérification ? Et comment en vîmes-nous à évaluer leur état mortuaire par la molestation des chairs ventrales, par la torsion des parties intimes masculines, par l’ablation des mamelons, par la mise à feu d’une bouche dont nous brisâmes les mâchoires, par la scalpation d’une future mariée, etc. ? Je crois que nous avons voulu être trop zélés, ou alors nous sommes-nous quelque peu emportés. Toujours est-il que la mort n’aurait dû, alors, ne faire aucun doute, mais le vieux et moi tremblions de tous nos membres.

Je me remémorais toutes ces histoires macabres que ne se content les adultes que lorsque les enfants sont couchés, les rencontres avec le Diable, les sacrifices impies promettant la souffrance et le trépas d’un ennemi, les sorts de magie noire, les rites sataniques et païens… Toutes ces folkloreries, elles inondèrent mes entrailles pour me les faire vomir sur les pieds de mes feux clients. Combien aurais-je donné pour que ces trois personnes aux vêtements déchirés, aux yeux crevés, aux visages brûlés, violées par des voies aussi saugrenues que blasphématoires, combien aurais-je donné pour qu’ils ne se soient pas mis à râler, à souffler de voix rauques : « Arrivés ? Sommes-nous arrivés ? » tout en se roulant par terre dans leur sang et leurs tripes pour se trainer jusqu’au marchepied.

Devenu subitement fou, le vieux se mit à rire et à sautiller en s’infligeant tout ce qu’il proposait dans sa chanson : « Veux-tu être bonne et m’ôter les yeux ? Merci. Veux-tu me mordre la langue et en cracher un petit bout sur cette fleur, mon bel ange ? Merci. Veux-tu introduire ce couteau dans mon nez pour voir s’il saigne ? Merci. » etc.

Je m’évanouis, le temps que la Lune ne se lève dans la nuit et parcourt la distance de deux pouces tenus à bout de bras, le temps que les trois morts soient retournés à leur siège.

« …mon grand âge. Merci. Veux-tu qu’avec mes bras amputés je replace le cocher à sa place ? Merci. »

Et le vieux flatta le cheval de gauche en lui léchant le derrière et relança ainsi notre voyage.

Lorsque j’arrivai à l’auberge, que se passa-t-il ? Je ne pourrais vous le dire ; nous le l’avons jamais atteinte. Nous ne sommes jamais arrivés nulle part, et pourtant nous roulons beaucoup, vraiment beaucoup, et pourtant nous ne roulons pas en rond, toujours en ligne droite malgré le brouillard, et pourtant nous vérifions souvent, à l’aide de furieux moyens, que nous ne sommes pas morts !

Conte

Dans la cabane perdue dans un bois plus vieux que l’Ecosse, on discutait philosophie abstraite, métaphysiques imaginaires et cultes oniriques, lorsqu’un craquement autre que celui du bois retentit. Alors on se tut, on fit instamment et précautionneusement goutter un peu de whiskey sur les langues afin de mieux savourer l’instant, et surtout on souffla deux des trois bougies afin de mieux voir.

Flottant à quelques centimètres de l’une des parois, l’air se craquela en une crevasse irrégulière, ainsi qu’une peau fanée de carcasse lacérée par un vent soudain ; puis une lueur opaque saigna pour se répandre dans les lieux silencieux. Quelque chose apparut, comme la  branche d’un vieux chêne englouti dans une tourbière et revenu à la vie, tâtonnant le sol avec des frémissements trahissant une surprise amusée.  

Mais là ne fut pas le moins insolite, car ensuite… Ensuite… Eh bien… Avouez, vous aimeriez bien le savoir, n’est-ce pas ? Mais je ne vous apprécie guère et si je me suis donné la peine de conter le début c’est pour mieux me taire au milieu.

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