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Étiquette : suicide

Pour ceux qui savent lire …et mourir

Textes de Jacques Rigaut

*

« Je serai sérieux comme le plaisir. Les gens ne savent pas ce qu’ils disent. Il n’y a pas de raisons de vivre, mais il n’y a pas de raisons de mourir non plus. La seule façon qui nous soit laissée de témoigner notre dédain de la vie, c’est de l’accepter. La vie ne vaut pas qu’on se donne la peine de la quitter. On peut par charité l’éviter à quelques-uns, mais à soi-même ? Le désespoir, l’indifférence, les trahisons, la fidélité, la solitude, la famille, la liberté, la pesanteur, l’argent, la pauvreté ; l’amour, l’absence d’amour, la syphilis, la santé, le sommeil, l’insomnie, le désir, l’impuissance, la platitude, l’art, l’honnêteté, le déshonneur, la médiocrité, l’intelligence, il n’y a pas là de quoi fouetter un chat. Nous savons trop de quoi ces choses sont faites pour y prendre garde ; juste bonnes à propager quelques négligeables suicides-accidents. (Il y a bien, sans doute, la souffrance du corps. Moi, je me porte bien : tant pis pour ceux qui ont mal au foie. Il s’en faut que j’aie le goût des victimes, mais je n’en veux pas aux gens quand ils jugent qu’ils ne peuvent endurer un cancer). Et puis, n’est-ce pas, ce qui nous libère, ce qui nous ôte toute chance de souffrance, c’est ce revolver avec lequel nous nous tuerons ce soir si c’est notre bon plaisir. La contrariété et le désespoir ne sont jamais, d’ailleurs, que de nouvelles raisons de s’attacher à la vie. C’est bien commode, le suicide : je ne cesse pas d’y penser ; c’est trop commode : je ne me suis pas tué. Un regret subsiste : on ne voudrait pas partir avant de s’être compromis ; on voudrait, en sortant, entraîner avec soi Notre-Dame, l’amour ou la République.

Le suicide doit être une vocation. Il y a un sang qui tourne et qui réclame une justification à son interminable circuit. Il y a dans les doigts l’impatience de ne se serrer que sur le creux de la main. Il y a le prurit d’une activité qui se retourne sur son dépositaire, si le malheureux a négligé de savoir lui choisir un but. Désirs sans images. Désirs d’impossible. Ici se dresse la limite entre les souffrances qui ont un nom et un objet, et celle-là, anonyme et autogène. C’est pour l’esprit une sorte de puberté, ainsi qu’on la décrit dans les romans (car, naturellement, j’ai été corrompu trop jeune pour avoir connu une crise à l’époque où commence le ventre) mais on en sort autrement que par le suicide.

Je n’ai pas pris grand chose au sérieux ; enfant, je tirais la langue aux pauvresses qui dans la rue abordaient ma mère pour lui demander l’aumône, et je pinçais, en cachette, leurs marmots qui pleuraient de froid ; quand mon bon père, mourant, prétendit me confier ses derniers désirs et m’appela près de son lit, j’empoignai la servante en chantant : Tes parents faut les balancer, — Tu verras comme on va s’aimer… Chaque fois que j’ai pu tromper la confiance d’un ami, je crois n’y avoir pas manqué. Mais le mérite est mince à railler la bonté, à berner la charité, et le plus sûr élément de comique c’est de priver les gens de leur petite vie, sans motifs, pour rire. Les enfants, eux, ne s’y trompent pas et savent goûter tout le plaisir qu’il y a à jeter la panique dans une fourmilière, ou à écraser deux mouches surprises en train de forniquer. Pendant la guerre j’ai jeté une grenade dans une cagna où deux camarades s’apprêtaient, avant de partir en permission. Quel éclat de rire en voyant le visage de ma maîtresse, qui s’attendait à recevoir une caresse, s’épouvanter quand je l’ai eu frappée de mon coup de poing américain, et son corps s’abattre quelques pas plus loin ; et quel spectacle, ces gens qui luttaient pour sortir du Gaumont-Palace, après que j’y eus mis le feu ! Ce soir, vous n’avez rien à craindre, j’ai la fantaisie d’être sérieux. — II n’y a évidemment pas un mot de vrai dans cette histoire et je suis le plus sage petit garçon de Paris, mais je me suis si souvent complu à me figurer que j’avais accompli ou que j’allais accomplir d’aussi honorables exploits, qu’il n’y a pas là non plus un mensonge. Quand même, je me suis moqué de pas mal de choses ! D’une seule au monde, je n’ai réussi à me moquer : le plaisir. Si j’étais encore capable de honte ou d’amour-propre, vous pensez bien que je ne me laisserais pas aller à une si pénible confidence. Un autre jour je vous expliquerai pourquoi je ne mens jamais : on n’a rien à cacher à ses domestiques. Revenons plutôt au plaisir, qui, lui, se charge bien de vous rattraper et de vous entraîner, avec deux petites notes de musique, l’idée de la peau et bien d’autres encore. Tant que je n’aurai pas surmonté le goût du plaisir, je serai sensible au vertige du suicide, je le sais bien.

La première fois que je me suis tué, c’est pour embêter ma maîtresse. Cette vertueuse créature refusa brusquement de coucher avec moi, cédant au remords, disait-elle, de tromper son amant-chef d’emploi. Je ne sais pas bien si je l’aimais, je me doute que quinze jours d’éloignement eussent singulièrement diminué le besoin que j’avais d’elle : son refus m’exaspéra. Comment l’atteindre ? Ai-je dit qu’elle m’avait gardé une profonde et durable tendresse ? Je me suis tué pour embêter ma maîtresse. On me pardonne ce suicide quand on considère mon extrême jeunesse à l’époque de cette aventure.

La deuxième fois que je me suis tué, c’est par paresse. Pauvre, ayant pour tout travail une horreur anticipée, je me suis tué un jour, sans convictions, comme j’avais vécu. On ne me tient pas rigueur de cette mort, quand on voit quelle mine florissante j’ai aujourd’hui.

La troisième fois… je vous fais grâce du récit de mes autres suicides, pourvu que vous consentiez à écouter encore celui-ci : Je venais de me coucher, après une soirée où mon ennui n’avait certainement pas été plus assiégeant que les autres soirs. Je pris la décision et, en même temps, je me le rappelle très précisément, j’articulai la seule raison : Et puis, zut ! Je me levai et j’allai chercher l’unique arme de la maison, un petit revolver qu’avait acheté un de mes grand-pères, chargé de balles également vieilles. (On verra tout à l’heure pourquoi j’insiste sur ce détail). Couchant nu dans mon lit, j’étais nu dans ma chambre. Il faisait froid. Je me hâtai de m’enfouir sous mes couvertures. J’avais armé le chien, je sentis le froid de l’acier dans ma bouche. À ce moment il est vraisemblable que je sentais mon cœur battre, ainsi que je le sentais battre en écoutant le sifflement d’un obus avant qu’il n’éclatât, comme en présence de l’irréparable pas encore consommé. J’ai, pressé sur la gâchette, le chien s’est abattu, le coup n’était pas parti. J’ai alors posé mon arme sur une petite table, probablement en riant un peu nerveusement. Dix minutes après, je dormais. Je crois, que je viens de faire une remarque un peu importante, si tant est que… naturellement ! Il va de moi que je ne songeai pas un instant à tirer une seconde balle. Ce qui importait, c’était d’avoir pris la décision de mourir, et non que je mourusse.

Un homme qu’épargnent les ennuis et l’ennui, trouve peut-être dans le suicide l’accomplissement du geste le plus désintéressé, pourvu qu’il ne soit pas curieux de la mort ! Je ne sais absolument pas quand et comment j’ai pu penser ainsi, ce qui d’ailleurs ne me gêne guère. Mais voilà tout de même l’acte le plus absurde, et la fantaisie à son éclatement, et la désinvolture plus loin que le sommeil et la compromission la plus pure. »

***

AGENCE GÉNÉRALE DU SUICIDE

Société reconnue d’utilité publique.
Capital : 5 000 000 de francs.
Siège principal à Paris : 73, boulevard Montparnasse.
Succursales à Lyon, Bordeaux, Marseille, Dublin, Monte-Carlo, San Francisco.

Grâce à des dispositifs modernes, l’A.G.S. est heureuse d’annoncer à ses clients qu’elle leur procure une mort assurée et immédiate, ce qui ne manquera pas de séduire ceux qui ont été détournés du suicide par la crainte de « se rater ». C’est en pensant à l’élimination des désespérés, élément de contamination redoutable dans une société, que M. le ministre de l’Intérieur a bien voulu honorer notre Établissement de sa présidence d’honneur.

D’autre part, l’A.G.S. offre enfin un moyen un peu correct de quitter la vie, la mort étant de toutes les défaillances celle dont on ne s’excuse jamais. C’est ainsi qu’ont été organisés les express-enterrements : repas, défilé des amis et des relations, photographie (ou moulage du visage après la mort, au choix), remise des souvenirs, suicide, mise en bière, cérémonie religieuse (facultative), transport du cadavre au cimetière. L’A.G.S. se charge d’exécuter les dernières volontés de MM. ses clients.
NOTA. — En aucun cas, l’établissement n’étant pas assimilé à la voie publique, les cadavres ne seront transportés à la Morgue, ceci pour rassurer quelques familles.

 

TARIF

 

Électrocution 
 200 fr.
Revolver 
 100 fr.
Poison 
 100 fr.
Noyade 
 50 fr.
Mort parfumée (taxe de luxe comprise) 
 500 fr.
Pendaison. Suicide pour pauvres. (La corde est vendue au prix de 20 fr. le mètre et 5 fr. pour 10 centimètres supplémentaires.) 
 5 fr.
Demander le Catalogue spécial aux Express-enterrements. Pour tous renseignements s’adresser à M. J. Rigaut, Administrateur principal, 73, boulevard Montparnasse, Paris (6e). Il ne sera fait aucune réponse aux personnes exprimant le désir d’assister à un suicide.


 

Direct live – making of

« Je suis allé voir cet écrivain réécrire des passages de son livre. Ah, quelle expérience! cela n’a rien à voir par rapport à quand on le lit sur un ouvrage édité en série à partir d’un jet solitaire. Le voir pour la énième fois recopier les mêmes mots pour son public, tel un acteur… c’est tout bonnement exquis, si bêlement beau. Les musiciens devraient le faire aussi, les politiciens, les religieux, les commères, les rats de salon,  les… Enfin tout le monde devrait inlassablement répéter pour un public ce qu’il a fait pour lui être un orgue de barbarie, c’est tellement vrai, tellement authentique, tellement moins artificiel que lorsque c’est exécuté pour le pitoyable amour de l’art. Les ermites qui écrivent sur des feuilles d’arbre… des feuilles d’arbre!, si cela ne tenait qu’à moi ils seraient enfermés en asile parmi d’autres ermites à écrire sur des feuilles de papier, en groupe, pour un public de surveillants, de médecins et de visiteurs! Personne ne devrait être autorisé à être seul ou à faire des choses pour soi, c’est de l’égoïsme. »

Jean Martin, amateur éclairé en art

Imaginé par Francis Thievicz (qui ferait mieux de trouver des manières plus romanesques, intéressantes et intelligentes de cracher sur les gens, voire d’enfin se remettre au fantastique pur. M’entends-tu, navet pourrissant?!)

 

 

Bonus avec peu de rapport avec l’article sinon la notion « d’art en direct », trouvé sur le site du Figaro , commentaire à un article sur un groupe de musique qui vaut d’ailleurs bien le détour : Le commentateur (probablement un punk intégriste) en fait la promotion malgré-lui; en tous cas j’ai du mal à imaginer meilleure publicité que quelqu’un qui écrit cela :

Ce groupe de musique symbolise les excès et la démence. Le chanteur du groupe, disparu à 27 ans, était malade et drogué. Un comportement inadmissible. Aujourd’hui, ce n’est pas un exemple pour les jeunes. Indignez-vous !

Que doit dire ce brave lecteur/commentateur prototypique à propos de Maupassant? (Pour plus d’informations sur les derniers jours de Maupassant : http://www.maupassantiana.fr/Documents/articles_bio_chronologie.html) Quelque chose dans ce goût, j’imagine :

Cet écrivain symbolise les excès et la démence. Morphinomane, éthéromane, mêlant surnaturel et crimes dans ses récits misanthropes, il a même fait l’ignoble apologie de la mort volontaire dans l’une de ses nouvelle, pour finir par tenter de s’ôter sa propre vie en se tirant cinq (ou six) balles de revolver dans la tête puis en s’égorgeant, de plus il est aussi probablement meurtrier (nous ne savons s’il a utilisé une boule de billard ou une autre arme). Aujourd’hui ce n’est pas un exemple pour les jeunes. Lisez le très intéressant Stéphane Hessel.

Allez vous faire soigner, ne vous droguez pas – sinon avec du tabac, du café, du vin ou des cocktails – n’écrivez et ne pensez qu’au succès social, qu’à la politique, soyez des exemples pour tous ces gens qui ne savent s’avoir eux-mêmes pour exemple, et indignez-vous de tout ce que l’éthique réprouve, oubliez qu’une chose peut en entrainer une autre et que les conséquences ont aussi des conséquences : le bien c’est bien, le mal c’est mal, un point c’est tout. La vie est longue, marchez dans les clous (hey, Le cercle des poètes disparus c’est bien beau mais à un moment il faut grandir), main dans la main, avec vos compagnons de route, nien nien nien, tra la la la.

*

Liste des écrivains à ne pas prendre pour exemple, si vous voyez vos amis avec un ouvrage de ces vilains, giflez-les :

Maupassant – Drogué, fou, suicidé

Cioran – N’a été salarié qu’un an dans sa vie, immigré roumain, parasite social

Lovecraft – N’a jamais eu aucun emploi, n’a jamais publié un seul livre de son vivant

Albert Caraco – Immigré juif, n’a jamais occupé un seul emploi, pessimiste

Robert E. Howard – Suicidé, n’a jamais été salarié (une théorie selon laquelle il aurait été barman pendant quelques jours?)

F. Nietzsche – N’a occupé d’emploi qu’une dizaine d’années avec très peu de succès (emploi quasiment fictif), a fini complètement dément et catatonique.

Ladislav Klima – Incarnation de la démence, ivrogne volontaire, mis au ban de tous les établissements d’enseignement d’Autriche

Jean Lorrain – Syphilitique, drogué, décadent

Alphonse Rabbe – Syphilitique, opiomane, suicidé

De Nerval – Séjours en prison, dément, suicidé

Leopardi – Tentative de suicide, poète, pessimiste, sans emploi connu

Lautréamont – Immigré, poète maudit (maudit soit-il!), pauvre

Maïakovski – Suicide à la roulette russe

Thomas de Quincey – Opiomane, lakiste (donc pitoyablement romantique et anti-productiviste), a écrit « L’assassinat considéré comme l’un des beaux arts »

Gogol – Comme son nom l’indique, écrivain fou, dépressif chronique, s’est laissé mourir, a été enterré vivant (selon la légende du moins; bien fait!)

Jules Déroute – N’a jamais existé, et c’est tant mieux pour tout le monde!

Etc…

Le jour du Seigneur est un autre jour

« Chaque jour que Dieu fait je suis heureuse.

– Mais, Madame, Dieu a cessé de faire des jours depuis vingt-et-un ans et il a déclaré dans un communiqué officiel qu’il n’en ferait plus aucun!

– Ah, damnation!

– J’ai un marche-pied, si cela peut vous aider à surmonter votre détresse.

– Merci, vous êtes bien brave. »

 

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