Extrait d’une interview que j’ai donnée à l’occasion d’une nouvelle traduction de Lovecraft que j’ai prévue de faire.
– Comment vous est venue la rare idée de retraduire Lovecraft ?
– Privé du moindre esprit créatif je me dirige naturellement vers la reproduction et l’adaptation, rien d’autre. Etant de formation universitaire, je ne suis doté d’aucun autre talent que de remuer les excréments, et j’observe avec jalousie tout ce monde qui patauge joyeusement dans les égouts en ce moment. Et moi, je veux suivre le mouvement.
– Comment avez-vous découvert Lovecraft ?
– En jouant aux jeux de rôle lors de mes études, et je me suis toujours dit qu’un jour je le traduirai à mon tour, même si en réalité je n’avais lu que des textes signés Derleth et quelques extraits du Necronomicon de Simon pour avoir une solide base de connaissance pour les parties.
– Le défi est d’autant plus courageux de votre part qu’il est risqué.
– La mode est avec moi, les grands dieux ayant mis à mal le peu de santé mentale de tous ces lecteurs avides d’achats, tous ces crétins pour qui Lovecraft se résume à Cthulhu ou aux Grands Anciens, nombreux sont les nantis prêts à mettre la main à la poche pour tout un tas de choses inutiles.
– Peut-on espérer des suppléments ?
– En effet. Tout se passera par financement participatif et chacun se fera son propre lot. Nous proposerons des figurines Cthulhu toute mignonnes, des illustrations, des porte-clefs avec le signe des Grands Anciens, des pins parlants, des ouvre-bouteilles… Bref ce que tout le monde peut attendre d’une nouvelle traduction.
– Mais en ce qui concerne le contenu précisément ?
– Je veux être absolument clair là-dessus : puisque les gens payent avant d’avoir le livre consultable, des mois voire des années avant, nous comptons sur le buzz et les réseaux sociaux pour ramener le maximum de gens possible. Personne ne sera déçu, ça sera un intégral des œuvres comme dans l’édition Bouquins mais avec toutes les lettres, essais et collaborations en moins, donc bien mieux.
– En ce qui concerne la traduction beaucoup s’inquiètent.
– C’est inutile car tout sera modernisé ! J’aimerais faire comme l’un de mes collègues (pour un autre auteur) et traduire même les noms propres ! Lovecraft deviendra Taillamour, Charles Dexter Ward sera renommé Charles Dexter Quartier. Il faudra s’y faire. Les virgules seront remplacées par des points, les mots rares par des synonymes plus courants, le subjonctif par l’indicatif, les formes poétiques et abstraites par des métaphores prosaïques contemporaines, etc.
– Le monde éditorial actuel vit une période excitante : les littératures de l’imaginaire se réduisent à de la fantasy niaise et à des récits SF anthropocentriques, il n’y a plus de fantastique mais il y a de la bit-lit. Quelle sera la place d’une nouvelle traduction de H.P.L. ?
– Je voudrais assécher les passions littéraires en réduisant le domaine à quelques auteurs emblématiques en jouant sur une saturation éditoriale redondante. Je ne veux pas que soient traduits M.R. James, Ambrose Bierce, Blackwood, Belknap Long ni les lettres de Lovecraft, ni rien d’inédit ou rare ! Il faut que ce soient les mêmes récits qui soient déclinés en une dizaine de traductions différentes. Et je veux aussi écrire une préface dénonçant le racisme de Lovecraft, et aussi apprendre aux clients que toute la légende de H.P.L. est fausse : il n’était pas aussi solitaire ni fou qu’on le pensait. J’ai procédé à d’intenses recherches en collaboration avec des psychanalystes et des spécialistes internationaux, et j’en suis arrivé à des conclusions qui surprendront tous ceux qui ont des livres mais ne les ont jamais ouverts.
– Lovecraft – ou plutôt Taillamour – appartient au passé. Qui s’y intéresse encore ?
– Beaucoup de monde aime à se plonger dans les anciens temps comme l’époque de Lovecraft lorsque les voitures étaient à vapeur et que les gens devaient subir le moyen-âge, et certains de ses récits, une fois remaniés, seront d’une actualité incroyable !
– Avez-vous prévu de traduire, dans un second temps, ses correspondances ou les livres qui ont inspiré Lovecraft, comme l’a fait Hippocampus press ?
– Ce serait un échec inutile. Hippocampus press sont des losers. Je passe par le financement participatif pour la publicité, pas pour réunir les fonds dans l’inepte but de mener à bien un projet underground et périlleux tel que les lettres de Lovecraft ou les veux bouquins poussiéreux qu’il lisait. On mettrait quoi dessus pour attirer les geeks s’il n’y a pas de Cthulhu ou de nom hype ? lol
– Lol. Hihi.