On pensait qu’après la Fin-de-siècle ce serait la Belle-époque… Aucune époque n’est belle : il faut aller au-delà de la Fin-du-monde, au-delà de la Fin-de-vie pour trouver le Bon-temps.

Il n’y a aucun rêveur qui a sa place en ce monde ici-bas. Qui s’en contente et s’en félicite, qui s’y complait et s’y emploie, n’est qu’un dormeur bercé de malheureuses illusions, un enfant qui patauge dans les égouts et qui est fier d’avoir trouvé un fragment de songe souillé de fange, parce qu’il ne sait pas ce qu’est le véritable rêve.

Pourtant je lance un appel à tous les rêveurs : faisons la promotion de la réalité! Car aussi infini soit-il, l’Imaginaire, s’il venait à se trop se peupler, deviendrait invivable; ce havre de paix doit rester un lieu à faible densité de population.

Usons d’arguments aussi basiques que ceux à qui ils sont destinés (puisque les individus sensés ne vivent pas à proximité les uns des autres dans l’Imaginaire mais construisent leurs propres landes au-delà des frontières oniriques déjà connues, c’est aux troupeaux que nous devons adresser nos ruses) : expliquons que l’on ne rêve que lorsqu’on ne s’aime pas soi-même; si on est beau on n’a pas besoin de verser dans l’imaginaire et de produire les efforts pour s’y élever, alors il faut entretenir son corps, passer du temps à penser et discuter d’alimentation, de sport, d’habillement, et pour tout cela il faut de l’argent, il est donc nécessaire de devenir carriériste, ce qui prend du temps mais est hautement gratifiant. Expliquons qu’il faut découvrir le monde (par-là sous-entendons que le monde se borne à la réalité) et pour se faire mieux vaut acheter des guides de voyage plutôt que des œuvres de fadaises fantaisistes,  qu’il faut voyager par les rails, la route, les airs, mais pas autrement, pas par l’esprit, car sinon comment se vanter des lieux visiter auprès des autres?

N’oublions pas non plus qu’il est bien plus aisé de devenir imaginatif lorsque l’on est déçu par la réalité, nous devons donc faire du spleen et de la mélancolie des sentiments passés de mode : de nos jours le bonheur doit se trouver dans la joie immédiate. Il ne faut pas se sentir seul ni différent, toujours trouver un troupeau de bétail pareil à soi, il faut pouvoir se croire riche en rêve en tirant dans le puits communautaire l’eau dont on abreuve son esprit infécond, il faut critiquer les individus grégaires des autres troupeaux que du sien.

Assurément l’individu qui suivra ces conseils, même s’il le veut, croira imaginer mais n’atteindra pas l’Imagination, ainsi la paix, ainsi aussi probablement tout le monde sera heureux, ou du moins contenté.

 

 

Il faudrait faire aussi ainsi pour le royaume de la Mort : dissuader les gens d’y aller en grand nombre, mais c’est une entreprise bien secondaire : vu l’état dans lequel ils arrivent ils n’en ont pas pour longtemps avant de mourir. A moins que… Non, non, oubliez ce que j’ai dit : en priorité empêchons les gens de mourir. Damnation, quelle densité de population terrible il doit y avoir après la frontière du Trépas, l’on doit s’y suicider en masse, y devenir fou!

***

Roi, le seul vrai roi de ce siècle, salut, Sire,
Qui voulûtes mourir vengeant votre raison
Des choses de la politique, et du délire
De cette Science intruse dans la maison,

De cette Science assassin de l’Oraison
Et du Chant et de l’Art et de toute la Lyre,
Et simplement et plein d’orgueil en floraison
Tuâtes en mourant, salut, Roi, bravo, Sire !

Vous fûtes un poète, un soldat, le seul Roi
De ce siècle où les rois se font si peu de chose,
Et le martyr de la Raison selon la Foi.

Salut à votre très unique apothéose,
Et que votre âme ait son fier cortège, or et fer,
Sur un air magnifique et joyeux de Wagner.

 

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