Je suis retourné à ce castel perdu par-delà les brumes et des monts vaporeux, cet étrange château à l’architecture impossible dont les donjons crèvent un firmament toujours nocturne laissant pleuvoir des rêves et des infinis.

Passant la grande entrée je remarquai que les musiques éthérées ne résonnaient plus comme naguère. Plus rien sinon les murmures de vents sinistres et moribonds.

Les tentures rongées par les insectes, les fresques décapées, les lits aux colonnes et aux baldaquins effondrés, les glaives rouillés, les armures écroulées, les verreries brisées. Même les fantômes ne glissaient plus dans les corridors dont les fenêtres ne laissaient plus paraitre qu’un horizon stérile, banal et terne.

Dans la salle du trône pourtant le portrait animé était encore vivant, du moins non mort; gluant cadavre dont la représentation hésitait entre la putréfaction et le pourrissement.

« Où sont donc passés les monarques de ce royaume ? demandai-je.

– Partis, siffla-t-il par les trous de vers percés dans sa gorge.

– Partis ? Partis, mais où ça ? Pourquoi ?

– Ils ont échangé leurs sceptres d’empereurs et leurs trônes de dieux pour des couronnes et des distinctions d’autres temps, de temps modernes.

– Blasphèmes !

– Nul blasphème, seulement la vérité. Le tissu onirique s’est rompu, désormais les champs féériques seront des habitats pour automates, désormais les écritures serviront à ordonner le prosaïque, désormais les sources magiques n’alimenteront plus les herbes veloutées et possédées mais seulement les moulins brassant des vents d’artifices concrets, désormais la Lune et le Soleil suivront leur course sans aucun maître, désormais le nombre de constellations restera fixe sans plus aucun démiurge pour en enfanter dans le chaos, désormais les cimetières seront calmes et inhabités, désormais les créatures des grottes seront des fantaisies de dupes, désormais les sorcières apprendront des métiers qui ne font appel qu’à la science, désormais les chênes vivront muets et au service de l’industrie, désormais les loups symphoniques ne chanteront plus, désormais les corbeaux ne porteront plus aucun message dans leurs ricanements, désormais les statues seront offertes aux affres les moins purs.

 » Les dieux ne meurent pas, ils se décomposent aussi indignement qu’ils ont été grands, tels des fragments de digestion dans une fumière, anodins miasmes, pas même des feux follets, tout juste des puanteurs incolores, prêts à fertiliser les labours d’une réalité aux fruits amers et pestilentiels. L’équilibre même dans un désastre sans extase. »

 

Du cyanure dans le système limbique, enténébrer l’esprit par une lumière froide. Qu’as-tu construit dans ton esprit sinon des ruines inhabitées de toi?

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