« Si vous pouviez savoir comme il peut être désolant de travailler dans un hôpital, voir de pauvres bougre et bougresses arriver presque morts de faim, les yeux battus par le fouet du sommeil, des cernes labourées par le désespoir, le dos accablé sous le poids de sinistres cieux, les mains gantées de douleurs crues et purulentes. Parfois il leur suffit de quelques jours au chaud et de bons repas pour se remettre de leurs maux; mais quelques mois plus tard les revoilà, tout aussi malades et pitoyables. Nous devons agir!

– Me proposez-vous de soutenir la république, devenir socialiste, promouvoir l’hygiène, ou quelque hérésie dans ce goût?

– Pardon? s’offusqua le médecin après un instant d’incompréhension. Non, vous n’y êtes pas, je vous prie seulement de m’aider à tuer les pauvres afin qu’ils me donnent moins de travail. Parfois je me déguise et je prends un attelage pour en écraser un ou deux, je lance « Tant pis, il y en a tellement qui pullulent, si je faisais attention… » et on me laisse filer, mais c’est davantage pour me passer les nerfs après une longue journée, de la même manière que l’on écrase quelques mouches, que l’on brûle quelques fourmis ou que l’on fait manger du chocolat à un chien lorsqu’on s’ennuie; là je vous parle d’une entreprise plus grandiose dont nous devrions définir les modalités. »

 

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