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Longue vie au moribond

Oh, je vous en prie, aidez-moi, ma vie est un calvaire car la mort me guette.

Mes cheveux, pareils à la dignité et à la décence pour l’âge, ont rompu avec mon crâne, et cela ne me poserait aucun problème fondamental si ce n’était le trou dans le mur au-dessus de mon lit qui laisse passer courants d’airs froids et rais de soleil brûlant sur ma pauvre tête. Eh, quoi ! Vous me proposez de me déplacer, de déménager ? Mais j’en serais bien incapable, mes pauvres amis, je suis tout à fait paralysé du nombril au talon (mes tendons se dégénèrent), et très peu maître du reste de ma carcasse, de sorte que je vis dans une éternelle misère, une éternelle fange, ma fange, ma misère. Mais tout cela me va bien. Tout cela me va fort bien, je vous l’assure !

Je reçois des visites de temps à autres, surtout des médecins auprès desquels je mendie des promesses d’éternité et des potions, qu’ils m’épargnent la mort, qu’ils me permettent de vivre encore, jouir des bonnes et intelligentes discussions tenues au café sous mon appartement et dont les échos remontent jusqu’à moi sans cesse. De la famille vient aussi, espérant probablement que mon testament tourne en leur faveur, mais ce sont de bonnes gens. Tout le monde est bon, même si certains en doutent.

Mes yeux me font terriblement souffrir. Comme je regrette de ne pouvoir admirer le mur écaille en face de moi et les belles circonvolutions formées par les humidités fongiques à mon plafond ! Il y a tant à voir…

J’ai constamment soif car mes reins ne fonctionnent plus car à la moindre goutte d’eau avalée mon corps exhale un parfum ammoniacal et je souille ma paillasse déjà bien trop sale. Quant à la nourriture, je vous épargnerai les détails des mécaniques branlantes et rouillées de mes intestins… Mais qu’importe ! Tant qu’il y a de la vie il y a de la joie. Ne me laissez pas vous parler de ma syphilis, de mes ongles qui n’ont jamais repoussé, de mon infection anale, des morpions, des poux, de mon anémie, de mes sinus assiégés par une constante purulence, et de mes autres petits tracas, tout ceci est si ridicule lorsque l’on peut encore sentir ses poumons racler l’oxygène et son cœur agir pareil à l’attraction lunaire sur des sables mouvants où fleurit un divin varech.

En ma mémoire je garde les souvenirs des gaietés de mon Whitechapel natal, les paysages bucolique des industries de la Tamise, les beautés raffinées du smog… Cela me suffit, cela et le goût de l’instant, cela vaut tous les laudanums et autres brumes de l’esprit.

J’écris tout ceci pour que l’on connaisse mon nom, que l’on sache qui je suis, que l’on n’ignore pas que j’aime tout de la vie, bien qu’elle soit un peu dure sous mes dents gâtées, et que je veux la vivre au-delà de la limite, que je préfère souffrir vivant qu’être en paix mais mort, que je refuse au trépas d’avoir raison de ma destinée. Je veux que l’on m’aide à vivre, vivre, vivre. J’aime mes insomnies, les bruits, les odeurs, les migraines, les névralgies, les nausées, les crampes, les escarres, les fragrances de ma chair pourrissante, les caresses des croutes de sang, les spasmes…

Pour quelques gorgées de moins

« Et tu as encore été sobre d’éther, grondait dans mon oreille la voix du gardien. Singulière idée pour tromper la mort. »

J’étais étendu au milieu du mausolée, le corps glissé sur les velours arrachés au capitonnage tombal et gisant au sol, la tête posée sur mon cercueil.

A chaque abstinence d’éther : une nouvelle vie, de la naissance à la mort. Je sais… nombre de mes semblables pensent que ce n’est pas une noble manière de passer son existence d’inhumé à vivre alors que seule la mort est vraie.

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