Quand on scande un discours destiné aux personnes intelligentes on attire surtout un public composé en immense majorité de curieux… qui d’autre pourrait être intéressé?

Ann O’Neim, Voyage en microcéphalie, une épopée au quotidien

 

Restons où nous sommes et voyageons ailleurs.

 

 

Le sixième coup était frappé à la cloche de l’église, et comme tous les jours je m’étais réveillé juste avant le premier, les contant un à un en souriant. Je sortis de mon lit, ouvris les volets et craquai une allumette pour faire de la lumière et m’observer dans le miroir avant de chasser deux pas de côté vers mon pot de chambre et libérer mes intestins.

Puis ce furent les ablutions élémentaires, l’hygiène dentaire absurde puisque je n’avais pas mangé durant mon sommeil et que ma logeuse me monterait mon thé sucré.

A l’église on sonnait la demie de sept heures lorsque je fis le premier pas dehors, exactement comme tous les jours. Je marchai donc le long des rues en cherchant un autre bon mot à offrir à mes collègues de travail que l’éculé « bonjour », mais lorsque je poussai la porte des bureaux je n’avais toujours rien, alors je lançai mon habituelle litanie sympathique et volontaire avant de m’installer à mon pupitre, enfiler ma manche de travail, chausser mes binocles et m’armer de ma plume.

A midi nous partageâmes comme à l’accoutumée une salade de pommes de terre et un morceau de pain avant de nous rendre au restaurant où nous plaisantions avec le serveur qui était devenu un ami. Puis je flânai seul avant de continuer la journée à faire valoir mes compétences et justifier mon salaire.

Le soir ce fut une absinthe et une dégustation de vin avant de rentrer en repensant aux plaisanteries échangées. Ma logeuse me monta mon souper. J’étais exténué mais je l’écoutai me conter son insipide journée en feignant un sourire. Puis je lus deux pages d’un livre que m’avait conseillé mon libraire, le plus moderne et contemporain, celui qui a le plus de succès actuellement, mais rien n’y était aussi trépidant que mon quotidien, et je me couchai.

Décidément ils ont tort ceux qui prétendent que le rêve est ailleurs. De plus cela ne veut rien dire « le rêve est ailleurs », moi tous les soirs je rêve de copuler avec l’une des danseuses du cabaret où je vais tous les dimanches après-midi.

Please follow and like us:
0
20
Pin Share20