N’en veuillez pas aux spectateurs de divertissements : ils sont victimes d’un complot. Toute l’humanité est victime d’un vaste complot, il ne peut en être autrement.

J’étais allé voir une pièce tout ce qu’il y a de plus parfaite (du moins le pensais-je), avec des sentiments, des personnages gentils et des personnages méchants, quelques intrigues, un peu de tristesse, quelques plaisanteries, du suspens, des critiques de notre société….

A la sortie j’ai remarqué un homme qui se tenait dans un angle enténébré, fumant une cigarette qui éclairait parfois son visage mesquin et malveillant. Sortirent deux amis qui devisèrent ainsi :

« Quel bon moment avons-nous passé !

– En effet. Je ne sais plus de quoi traitait la pièce mais je me sens bien plus intelligent.

– Nous sommes des initiés.

– Nous avons trouvé de quoi utiliser très subtilement l’argent que nous avons empoché à la juste valeur de notre labeur. Cela me ravit.

– Et cela me satisfait ! De plus nous pourrons nous vanter d’avoir vu cette pièce. C’est que c’est aussi de la socialisation.
– C’est avant tout cela. D’ailleurs, avez-vous remarqué comme il est agréable de suivre une histoire avec toute une foule de spectateurs prêts à vous aider à savoir quand rire, pleurer, crier, applaudir, avoir peur, etc ? Cela n’a rien à voir avec ces lecteurs au visage gris qui se voutent le dos sur du papier sans rien partager ni recevoir avec le reste de leurs congénères, ou ces aigris qui vomissent de l’imagination pour eux seuls sans le partager pour ne plus finir que par vivre dans des idéaux émétiques, tous ces étudiants qui ne courent après aucun diplôme, tous ces romantiques esseulés et pathétiques, tous ces arpenteurs de rêvasseries solitaires, tous ces…

– Ne m’en parlez pas, cela va me donner la nausée. Ils pensent que penser est nécessaire pour savoir quoi penser, alors que, sincèrement, dans les spectacles vivants on nous dit quoi penser et cela ne nous permet pas moins de savoir que penser.

– Ah ? Oui, très certainement. De toutes manières vous devez avoir raison puisque vous avez vu cette pièce, et seuls les gens qui ont raison vont la voir.

– Je ne fais que citer ce que j’ai entendu. Je suis un homme cultivé : je cite ! »

Dans l’encoignure le fumeur sourit et rentra dans le théâtre. Je l’ai reconnu, c’était l’auteur de la pièce. Je sais. Je sais que c’est un abject misanthrope, un membre du complot. Ils ourdissent des spectacles pour flatter un public de ce qu’ils prennent pour des onanistes prétentieux et, à l’aide d’ondes expérimentales ils capturent les influx nerveux et cérébraux des spectateurs pour les leur voler. Ainsi on y entrerait médiocre et on en ressortirait pire, trop sot pour se rendre compte qu’on l’est toujours davantage. Un numéro de siège comme un numéro de matricule dans un asile d’aliénés.

Il en est ainsi, car cela ne peut être l’humanité qui se congratule de son entrain à plonger dans les abîmes de la décérébration.

De mon côté je ne peux continuer de vivre avec ce fardeau. Chaque soir j’irai au théâtre, rire, pleurer, crier, applaudir avec tout le monde, impatient que les ondes m’aient rendu assez imbécile pour ne plus avoir à craindre pour ma niaiserie et mon crétinisme ; et si je n’y parviens pas ainsi j’en passerai par un moyen moins extrême, mais que j’espère tout aussi efficace, et je me ferai lobotomiser.

 

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