Comme chaque 2 Janvier depuis cinq ans il plia un linge propre en cinq, le rapporta sur ses genoux, déboucha la fiole d’éther et en aspira avidement le gaz volatile, non comme un pingre mais ainsi qu’un assoiffé passe sa langue sur ses lèvres où roule une sueur salée lorsqu’il aperçoit enfin une source d’eau fraîche. Il appliqua le goulot sur le tissu, renversa le tout, attendit trois secondes ainsi, puis plaqua le carré prometteur sur ses voies respiratoires.
Ces structures, ce son, toujours les mêmes. Il oubliait à chaque reprise, et pourtant se rappela qu’il oubliait à chaque fois sans pouvoir préciser la suite; un déjà-vu que seul l’éthéromane connait.
D’abord la complexion de la réalité se disloqua, tout se délita dans une obscurité bouillonnante où surgissaient des tourbillons de néant fertilisant la conscience. Il savait qu’il connaissait la suite mais se laissa surprendre par son image pointant un soleil couchant entre un ciel invisible et une mer blanche. Par bravade il ordonna à son bras physique d’imiter l’image éthéré mais alors tout fut rompu.
Il répéta alors l’opération, encore et encore, sûr qu’il y avait un message caché, hermétique pour ainsi dire, dans l’inlassable répétition de ces faits : l’amnésie, la déconstruction des formes, le bourdonnement monotone et cosmique qui glisse du grave à l’aigu, et invariablement son bras pointant l’orbe moribond entre deux plans incolores.
On trouva son corps trois jours plus tard, flottant entre le sol et le plafond. On pouvait à loisir le faire se mouvoir d’avant en arrière, de gauche à droite, mais le translater verticalement restait interdit par des lois inconnues de tous les timorés qui ne respirent que du prosaïque air et ne se nourrissent que de vulgaires espoirs logistiques. Ce fut son concierge, bourru et mal dégrossi, ce qui ressemblait le plus à un ami pour le solitaire défunt coincé entre ciel et terre, qui apprit aux agents de police que le cadavre volant était bizarre, qu’il cherchait quelque chose, qu’il rentrait chez lui avec une grande fiole d’éther tous les 2 Janvier de chaque année, la même fiole que celle qui gisait là, par terre, à moitié brisée.
L’hypothèse d’un effet de l’éther sur ce drôle de mort ne fut pas retenu : l’éther n’a pas les mêmes propriétés que l’hélium; et après tout combien faudrait-il d’hélium pour qu’un corps restasse ainsi en suspension! C’est que nul ne songea que chez certains sujets de valeur c’est le corps qui se soumet à l’esprit plutôt que l’inverse; des cas certes trop rares pour seulement servir d’exception, considérons-les d’ailleurs comme une autre espèce!
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